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...... C'était le 12 Avril 1814...il y a 195 ans....!!!
Jeune lieutenant d'artillerie de 17 ans appartenant au régiment de la Fère en garnison à Valence, Bonaparte songe à en finir. Le sentiment de l'échec qui arme si fort la résolution des grands hommes le sumerge, proscrit dans son pays, exilé, voyant ses appuis disparaître, il craint que la vie ne soit jamais l'égale de ses rêves, la médiocrité le dégoûte.
L'adolescent impatient qu'il ne cessera jamais d'être se sent accablé. Tant de songes, si peu de moyens de leur être fidèle ! plutôt que de les trahir il préfère la mort....il écrit """"
Toujours seul au milieu des hommes je rentre pour rêver avec moi-même et me livrer à toute la vivacité de ma mélancolie....de quel côté est-elle tournée aujourd'hui ? du côté de la mort...quelle fureur me porte donc à vouloir me détruire ? que faire dans ce monde ? puisque je dois mourir ne vaut-il pas tant se tuer ? """"""Cette tentation du suicide, il croira l'avoir oubliée. Elle se tiendra dans un repli de son âme comme un braise qui ne demande qu'à se rallumer. Quand trouverait-il le temps d'y penser...l'action le dévore. Il joue avec les trônes, remodèle la carte de l'Europe, ne songe à Moscou que comme à un tremplin vers l'Orient, cette Inde si chère dans la défaite de Saint-Jean-d'Acre lui a coupé la route et où il voudrait retrouver les traces d'Alexandre.
Il chevauche sous la pluie et dans la neige mais c'est le galot éperdu de son imagination qui le précède. Sa vie tout en tumulte ne lui laisse aucun répit. Il faudra le rêve brisé, l'Empire effondré, la France envahie pour que la braise enfouie vingt ans rejaillisse....à Arcis-sur-Aube, pendant la campagne de France, il charges à fond les hordes cosaques à la tête d'une poignée d'officiers. Il cherche la mort comme César à la bataille de Munda...en vain.
Quelques jours plus tard, le 12 Avril, il est à Fontainebleau. Des flambeaux éclairent la nuit. Le grand vent de la défaite a dispersé les courtisans. Seule la garde en armes veille sous les fenêtres du château. Les larges pans de l'édifice imaginaire qu'il a construit s'effondrent...Quelques fidèles autour de lui...les Maréchaux Caulaincourt et Macdonald, le comte de Turenne. Dans ce palais où s'engoufre la désolation, la légende qui s'effiloche laisse place aux rumeurs folles. On parle d'assassinat. On suppute les risques de la fureur populacière...L'océan des grandes conquêtes a disparu...c'est la marée basse du pouvoir embourbé dans l'adversité.
Alors Napoléon retrouve la blessure ouverte de son adolescence. Autour du cou, dans une gaine de taffetas noir, il porte une fiole de poison...Laudanum, ellébore blanc, belladone. Son chirurgien, Yvan, le lui a préparé en Russie après le hourra de Malos-Joroslawetz. C'est la dose employée par Condorcet et le cardinal de Loménie.
Cette fiole ne l'a plus quitté...elle a battu sur sa poitrine dans toutes les chevauchées et la défaite. En pleine nuit, Napoléon porte le poison à ses lèvres. Puis il se recouche et attend. A 3 heures du matin, la douleur lui déchire le ventre. Sentant sa fin approcher, il fait appeler Caulaincourt.
Napoléon lui confie une lettre pour l'Impératrice, il dit """"
Donnez-moi votre main """" puis
""""Embrassez-moi"""". Le Maréchal pleure. L'Empereur lui adresse ses dernières recommandations....
"""" Dans peu, je n'existerai plus, portez alors ma lettre à l'Impératrice, gardez les siennes avec le portefeuille qui les renferme, pour les remettre à mon fils quand il sera grand.""""""La souffrance augmente, son visage se crispe, d'une voie faible il soupire
..."""" Qu'on a de la peine à mourir, qu'on est malheureux d'avoir une constitution qui repousse le fin d'une vie qu'il me tarde de voir finir...""""Des vomissements l'interrompent. Il demande au docteur Yvan une dose de poison plus forte. Celui-ci se refuse et quitte la chambre bouleversé. Plus tard l'Empereur demande à ses domestiques une brasière de charbon pour s'asphyxier. A 11 heures du matin, il émerge victorieux de son corps avec l'agonie. Ses traits défaits portent les traces de son combat. Il reçoit Caulaincourt....
""""" Je vivrai, puisque la mort ne veut pas plus de moi dans mon lit que sur le champ de bataille...il y aura aussi du courage à supporter la vie après de tels évènements...j'écrirai l'histoire des braves...."""""S'il est condamné à vivre, c'est que sa mission n'est pas achevée. Quelle part de gloire l'avenir lui réserve-t-elle encore. Chaque bataille gagnée ou perdue portait la marque de son chiffre noir. Chaque attentat déjoué repoussait un de ses assauts. C'est en canalisant les forces de mort anarchiques de la Révolution qu'il a édifié son Empire. La mort est son ennemi. Le suicide, dont par deux fois Napoléon esquisse le geste, apparaît comme une aberration de ses facultés, une crise subite d'abdication de soi. Il n'est plus libre de mettre un terme à son existence. La date de sa mort et inscrite sur le grand livre d'en Haut. Son rôle est de dominer les forces obscures, les ombres, le hasard, l'irrationnel. Pourquoi se donnerait-il la mort ?.
Le suicide l'irrite autant que l'amour. Il stigmatise le geste du Grenadier Gobain dans une proclamation à l'armée d'Italie. Il ordonne que soit mis à l'ordre du jour de la garde
....""""" qu'un soldat doit savoir vaincre la douleur et la mélancolie des passions...q'il y a autant de vrai courage à souffir avec constance les peines de l'âme qu'à rester fixe sous la mitraille d'une batterie. S'abandonner au chagrin sans résister, se tuer pour s'y soustraire, c'est abandonner le champ de bataille avant d'avoir vaincu."""""Ce thème, comme il est fantastique de le voir resurgir dans la nuit glacée qui précède Austerlitz ! faute de nourriture, l'eau de vie coule à flots dans les bivouacs. Napoléon, établi dans une bâtisse en torchis qui domine le plateau de Pratzen, soupe avec son état-major. La table Impériale est dressée...sur une longue nappe blanche brillent les couverts en argent. L'Empereur se contente de pommes de terre et d'oignons.
l'Empereur éprouve une saturation de réalité...il n'a cessé d'échafauder des plans de bataille, de calculer, de chiffrer, de mesurer, de comparer. Il lui faut une incursion dans l'imaginaire, il interroge Junot sur la vie théâtrale à Paris. On parle d'une pièce de Raynouard..."Les Templiers". Il s'échauffe
...."""" Dans ces Templiers il n'y a qu'un seul caractère bien dessiné...celui d'un homme qui veut mourir...cela n'est pas dans la nature, cela ne vaut rien, il faut vouloir vivre, et savoir mourir.""""Il se tait, puis il évoque Corneille
....""""C'est la politique qui doit être le grand ressort de la tragédie moderne...c'est elle qui doit remplacer sur notre théâtre la fatalité antique...cette fatalité qui rend Oedipe criminel sans qu'il soit coupable....""""....L'imagination avisée, il revient à sa défaite devant Saint-Jean-d'Acre, la fin de son rêve Oriental. A la veille d'une de ses plus éclatantes victoires, c'est l'échec qu'il caresse
...."""""Si je m'étais emparé d'Acre, je prenais le turban, je faisais mettre les grandes culottes à mon Armée, je ne l'exposais plus qu'à la dernière extrémité, j'en faisais mon bataillon sacré, mes immortels. C'est par des Arabes, des Grecs, des Arméniens, que j'eusse achevé la guerre contre les Turcs. Au lieu d'une bataille en Moravie, je gagnais une bataille d'issus, je me faisais empereur d'Orient, et je revenais à Paris par Constantinople."""""Puis il sort dans la nuit. Il va inspecter les derniers préparatis. Descendu de cheval, il bute sur une souche. Un grenadier allume une brassée de paille pour l'éclairer. Son voisin l'imite, et bientôt c'est toute l'armée qui s'embrase. Les feux illuminent ces hauteurs du plateau de Pratzen. L'ennemi croit à une attaque, puis à une retraite. Quelle place occupe encore le suicide dans l'esprit de cet homme qui s'avance parmi ses soldats qui tendent à bout de bras des brandons enflammés et poussent des cris et des vivats ?.
A Sainte-Hélène, sa pensée dérive...toutes les contradictions resurgissent. Il est conscient d'offir à la postérité le tableau magnifique d'une infortune peu commune après de succès inouïs déjà entrés dans la légende. Cette fin austère et tragique, après une jeunesse qui le fut aussi, encadre bien sa gloire.
Un jour de vague à l'âme il avoue au duc de Rovigo
....""""J'ai parfois l'envie de vous quitter et cela ne doit pas être bien difficile..."""" Mais, le lendemain, il n'y pense plus.
Le suicide de Napoléon ! Quelles ailes noires il aurait données à sa légende !....Plus belles que celles que lui a données sa longue agonie sur un rocher perdu ?....Il nous fait seulement rêver sur un des grands mystères de la puissance. Qu'une telle énergie à vaincre, une si impressionnante fureur de respirer, que n'avaient pu réduire qu'avec peine toutes les forces de l'Europe coalisées, aient failli un soir de désespoir s'effacer de la terre par le simple effet d'une tisane de plantes vénéneuses....
""""" La balle qui me tuera portera mon nom """"".....cette sentence, frappée du sceau de l'orgueil impétueux, pourrait servir d'épigraphe au geste de tous les suicidés....le courage qu'ils tirent du malheur conduit à ces sommets de conscience de soi où ils rejoignent les grands conquérants.
Elle prend tout son sens quand on connaît l'auteur.....Napoléon la prononçait lorsque ses Maréchaux ou ses soldats le suppliaient de s'éloigner du coeur des combats où il se plaisait à défier la mort. Jamais la fierté d'être le maître absolu de sa vie n'a été aussi forte.
La vie glorieuse de Napoléon s'épanouit à l'intérieur d'une parenthèse qui s'ouvre et se ferme sur le suicide. Qu'il s'agisse d'une velléité et d'un acte manqué importe peu. Seule compte la tentation qui, à vingt ans de distance, manque de basculer ce monument de volonté, dans le néant.
......FIN..... (Sources...Extraits...Jean-Marie Rouart.)