Jean-Baptiste Coluche (1780-1867) (Bulletin n° 13) par
Daniel Grand (Délégué pour la Seine et Marne)La sentinelle Coluche et l'Empereur ou "On ne passe pas" Gastins, petit village au nord de Nangis, en Seine-et-Marne : une place, un café à l'enseigne de Madame Plisset (désormais fermé), au-dessus une plaque souvenir en l'honneur de J.B. Coluche, à l'intérieur du "Bistro" un billard, dont Madame Plisset, la dernière tenancière disait que c'était celui de Napoléon III ; or la vérité est aussi belle que la légende.
En voici l'histoire :
Donc, dans ce village naissait le 30 mars 1780 Jean-Baptiste Coluche. Sa mère née Marie Muraton (qui mourra le 5 décembre 1825) exerçait la profession de journalière, son père était charretier et ancien conscrit et soldat de l'an IX, quant à lui, il était vigneron au moment de son départ pour le régiment. Notre conscrit, mesurant l m 70, les yeux gris, la bouche moyenne, le front couvert, les cheveux et les sourcils châtains, incorporé au 17e régiment d'infanterie légère (1) le 5 Brumaire an XIV (1805) sous le matricule 3018, fut affecté à la 3e compagnie du 3e bataillon. (2)
Il participa aux campagnes de Prusse (1806) de Pologne (1807-1813) et de France (1814) - Il se distingua à Auerstaedt, Eylau, Ebelsberg, Essling, fut blessé à Wagram et gravement atteint à la tête au combat d'Arcis-sur-Aube le 20 mars 1814. Toutefois, c'est à la suite de la sanglante bataille d'Ebelsberg (le 3 mai 1809) qu'il dut sa popularité.
Ce jour là, la division Claparède, du Corps Oudinot attaqua, à Ebelsberg, sur la Traun (entre Linz et Vienne), l'arrière-garde autrichienne, mais bientôt Claparède eut affaire aux 30 000 hommes du général Hiller ; n'ayant que 7000 hommes à opposer, le général français Allart, malgré des efforts héroïques, finit par succomber, lorsque les autres divisions vinrent à son secours. Les autrichiens forcés de battre en retraite laissèrent 4 canons, 2 drapeaux et un "monceau" de cadavres dans ce village (dont les ruines fumaient encore huit jours après le combat). Après le combat, Napoléon vint loger dans une masure à demi-ruinée.
J.B. Coluche fut mis en faction devant la porte avec consigne absolue de n'y laisser pénétrer qui que ce fut (sauf accompagné d'un officier d'État-major). Vers le soir, bien enveloppé dans sa redingote, l' Empereur se présente pour entrer dans son "Palais de décombres".
"On ne passe pas" lui cria Coluche (ce sont là les paroles que j' ai prononcées, racontera plus tard le vieux soldat, je n'ai jamais ajouté, comme on me l'a fait dire à tort : quand même tu serais le petit caporal).
Mais, pensif, Napoléon, sans l' écouter, continuait de marcher à sa rencontre; Coluche prit son fusil à deux mains et ajouta: "Si tu fais encore un pas, je te fourre ma baïonnette dans le ventre".
Au bruit de cette scène, les généraux et les aide-de-camp accoururent. Napoléon rentra et Coluche fut entraîné au Corps de Garde: "tu es perdu, tu vas être fusillé" lui dirent certains de ces camarades. "tu vas être décoré" lui assurèrent d'autres, finalement il ne fut ni fusillé, ni décoré (Y F. Masson) - La légende est fautive, car il fut fait Chevalier de la Légion d'Honneur, à la suite de sa blessure à Arcis (Aube) le 21 mars 1814.
Il reprit du service au retour de l' Ile d'Elbe et prit part à la bataille de Ligny.
A la chute de l'Empire, il fut licencié et reprit ses occupations de vigneron à Gastins. Il épousa, le 25 juillet 1815, Madeleine-Elisabeth Moreau dont il eut un fils, François-Alexandre, né le 28 août 1816.
Possédant quelques parcelles de terre et touchant le traitement de sa croix, et à force de travail et d'économies, il sut se constituer une modeste aisance, ce qui lui permet d'ouvrir "un cabaret rustique" orné sur sa façade d'une enseigne peinte, de couleurs vives et rappelant le mémorable épisode : un fantassin, l'air martial, un tantinet fiérot croisant hardiment la baïonnette devant l'Empereur et dessous en grandes lettres : "On ne passe pas" ; ce fut sa seule faiblesse et il la racheta peu de temps après : un magasin de confection, rue de Rivoli, s'était fondé à l'enseigne " A la redingote grise" ; on proposa à Coluche 1800 francs par an, pour qu'il se tint dans le magasin.
Coluche refusa, estimant qu'on ne trafique ni de la gloire, ni de la croix.
Entre temps, victime de sa renommée locale, ses compatriotes souhaitèrent le voir élu conseiller municipal mais en employant des procédés discutables ; fâché, Coluche écrit (en respectant l'orthographe).
Gastins, 8 Novembre 1831
Monsieur le Sous-Préfet,
Ayant été nommé candidat composant le conseil de notre commune, j'avais accepté avec le plus grand plaisir si les élections s'étaient faites loyaleman mais comme il est parcourue dans toutes les maisons de soliciteurs et monsieur le Maire luy-même et que sela n'a pas été fait dans la forme voulue, je vous prie d'achepter ma dérnission et de me rayé sur la liste de candidature.
Recevez, Monsieur le Soupréfet, les salutations les plus sincères de celui qui a lonneur d'être votre serviteur
Coluche
Le 13 juin 1831, il fut élu ler sous-lieutenant à la 6ème compagnie du ler bataillon de la garde nationale de Nangis (3).
En 1857, il reçut la médaille de Sainte-Hélène. Cependant, il ne voulait pas mourir, disait-il souvent, sans voir Napoléon III et sachant que la cour était à Fontainebleau, Coluche revêtu de son ancien uniforme, la Légion d'honneur sur la poitrine se présenta au palais le 27 juin 1862.
L'Empereur averti, s'empressa de le recevoir, vint affectueusement au devant de lui, et lui serra cordialement la main. L'Empereur lui fit raconter le fameux évènement ; puis le reconduisit. C'est alors que Coluche demanda à voir l'Impératrice ; Napoléon III, pour accéder au désir du vieux brave, fit prévenir Eugénie, à laquelle Coluche en son langage pittoresque raconta encore la fameuse scène. Enfin Coluche, sans avoir pu voir le prince impérial, se retira enchanté ; une larme d'attendrissement s'échappait de ses paupières, il fouilla à sa poche pour prendre son mouchoir, et trouva un rouleau de pièces d'or : il y avait 30 beaux Napoléons (voilà d'où vient la légende du billard de Napoléon III).
Le reste de sa vie fut paisible et le 2 mai 1867, il meurt à Gastins, dans son auberge, à l'âge de 87 ans. Les honneurs funèbres furent rendus par la compagnie des sapeurs-pompiers.
Le général de division Dubern (né le 18 octobre 1802 à Bordeaux, mort le 23 mars 1870 à Versailles), qui habitait, à proximité, le château de Champ-Gueffier, se rendit en grande tenue à son enterrement et prononça un émouvant discours.
Notre vieux grognard repose dans le cimetière de Gastins.
Notes
(1) le 17e léger a été formé le 21 germinal an IV et licencié en 1814.(2) le 17e léger et son uniforme : habit bleu à parements blancs largement ouvert sur un gilet rouge et orné d'épaulettes vertes, un pantalon collant de drap jaune boutonné sur le mollet et un énorme shako ombragé par un plumet bleu et rouge.(3) Charles X avait dissous la Garde Nationale en 1827. Louis Philippe acceptait le 22 mars 1831 la loi qui rétablissait la garde et rendait aux citoyens le droit d'élire les officiers et les sous-officiers des compagnies.
Sources
· - République de Melun du 11/2/80 et 11/7/80
· - Almanach de Seine et Marne (page 163)
· - Archives départementales de Seine et Marne (4 R 105)
· - Brie et Gâtinais 1909 réf 215AZ 745AZ 510AZ 1939
- Illustration du 24/10/1846. Un portrait de Coluche en tenue de lieutenant de la Garde Nationale à Nangis (portrait exécuté par la cantatrice Pauline Viardot).