UNE INVASION SUISSE DE LA FRANCE EN 1815
Depuis l’Acte de Médiation de 1803, et l’organisation bonapartiste, la Suisse est une confédération cantonale. Proclamée neutre, cela n’empêche pas de nombreux pays européens d’y lever des régiments pour leur service : France, Espagne, Hollande, Naples….
N’oublions pas qu’à l’époque, le Valais et la principauté de Neuchâtel sont indépendants et que Genève est la préfecture du département français du Léman.
Pour sa défense propre, la Suisse doit compter sur ses milices cantonales qui peuvent être provisoirement réunies par la Diète selon un contingent défini. C’est ainsi que la Confédération lève ses troupes pour les porter sur ses frontières en 1805, 1809, 1813.
En fin 1813 se proclamant de nouveau neutre, cela n’empêche pas les Autrichiens de passer par Bâle pour envahir la France.
En décembre 1813, l’Acte de Médiation est aboli, sans que Napoléon puisse y faire grand-chose. Une vague convention le remplace entre les cantons. Mais la guerre civile menace. D’ailleurs de nombreux mouvements insurrectionnels internes auront lieu jusque dans les années 1830.
Les oligarques de Berne veulent récupérer le canton de Vaud, devenu indépendant en 1798, qui mobilise ses milices. Les troubles éclatent dans divers cantons. Les Français viennent d’évacuer en décembre Genève et le Valais devant la situation militaire en France et en Italie.
En juin 1814, les milices de Soleure et Fribourg viennent prendre la suite des Autrichiens à Genève qui vient de demander son rattachement à la Confédération. Le Valais va rester dans une configuration provisoire jusqu’en juin 1815 où il sera rattaché. Neuchâtel tout en redevenant propriété du roi de Prusse adhèrera au pacte fédéral en mai 1815.
Le retour de Napoléon en mars 1815, calme les querelles intestines. La Diète helvétique décide de la mobilisation des milices cantonales (30.000 hommes) pour établir un cordon de troupes entre Genève et Bâle. La neutralité de la Suisse a de nouveau été proclamée le 20 mars par le Congrès de Vienne.
La Diète refuse tout contact avec Napoléon lors des Cent-Jours anticipant l’échec qui attend l’empereur des Français.
Les cantons avec difficultés, parfois révoltes et mutineries, absence d’équipements et de ravitaillement, envoient leurs contingents, répartis en deux puis 4 divisions. Les troupes sont massées dans le canton de Vaud, suspecté de francophilie par les cantons germanophones.
Le commandant en chef :Niklaus Frantz Von Bachmann ( Note 1) et son second : de Castella, anciens soldats au service de Louis XVI, vont non seulement devoir laisser passer les Autrichien, une fois de plus , mais aussi spontanément les aider, par haine personnelle de la République et de l’ Empire.
Note 1 :Von Bachmann s'engage en 1756 dans le Régiment des Gardes Suisses
Il est ensuite promu major en 1768, puis lieutenant-colonel en 1773, puis est fait chevalier de Saint-Louis en 1778. Il est ensuite nommé colonel et instructeur des troupes françaises qui sont envoyées se battre auprès des États-Unis d'Amérique pendant la guerre d'indépendance.
Après le massacre de la Garde Suisse aux Tuilerie, il passe au service du royaume de Sardaigne comme lieutenant-général en 1794. Fait prisonnier par les français lors de la création de la République cisalpine en 1797, il retourne en Suisse. Placé en résidence surveillée par le Directoire helvétique, lors de la deuxième coalition, il commande les émigrés suisses au service d'Autriche et d'Angleterre en 1799-1800.
Deux ans plus tard, il commande les troupes de la Diète fédérale de Schwyz qui renverse la République helvétique pendant « la guerre des bâtons ».
En 1815, la Diète lui confie le commandement général des forces suisses.
L’INVASION DE JUILLET 1815
Rappelons la situation militaire sur la frontière suisse après Waterloo (18 juin) . Les forces françaises y sont réparties entre l’Armée des Alpes de Suchet, l’Armée du Jura sous Lecourbe et l’Armée du Rhin de Rapp. Chacune a un petit noyau de troupes de Ligne épaulées par des divisions de Gardes Nationales. Des corps francs s’y adjoignent.
Dans la nuit du 25 au 26 juin, les Autrichiens franchisent le Rhin dans la région de Bâle et repoussent les faibles forces françaises, elles se dirigent ensuite sur Belfort et Huningue. Les forces suisses y participent sous Huningue où le général Barbanegre bombarde Bâle pour rappeler aux Suisses leur « neutralité ». De fait les forces suisses protégeaient les flancs de l’offensive autrichienne.
Plus au sud, l’armée des Alpes avait pris l’offensive le 15 juin et s’était rapprochée de Genève où tenaient des milices suisses. Elle se battait jusqu’ au 28 juin puis concluait un armistice.
Le 25 juin, le général Lecourbe commandant du corps d’observation du Jura, informait le général Bachmann de l’abdication de Napoléon et l’invitait à des pourparlers, tandis que le général Laplane, depuis Pontarlier, en faisait de même auprès du général Gady à Yverdon.
Une convention d’armistice est même signée le 3 juillet 1815, puis un cessez-le-feu à Strasbourg quatre jours plus tard. Barbanègre à Huningue tient toujours, menaçant Bâle, tandis que des corps francs font le coup de feu sur la frontière et opèrent de fréquentes incursions dans les villages des zones limitrophes.
Dans un premier temps, la Diète Helvétique insiste pour que le général Bachmann s’en tienne à des mesures défensives à l’intérieur des frontières suisses ou à ou à défaut, à la prise de positions défensives favorables sur territoire français.
Dans le Doubs, le corps franc du colonel Auguste de Chambure continue à harceler l’ennemi, à couper les convois. Celui de Claude-Joseph Jacquin fait de même. Sur la frontière s’étaient organisés aussi des corps francs royalistes français qui combattent les précédents. La situation devient confuse.
La commune française de Jougne frontalière appelle alors à l’aide les Confédérés pour se préserver des coups de main des troupes irrégulières.
Pour la dernière fois, les troupes confédérées passent la frontière française.
Dans un ordre du jour du 5 juillet 1815, Bachmann affirme qu’une seule cause : les pillages des corps francs, détermine les Suisses à passer à l’offensive. Les troupes progressent sans difficultés ni obstacles majeurs : les bataillons de ligne français ont quitté la région, les gardes nationaux se retirent à l’arrivée des Suisses, la population se montre plutôt bien disposée à les recevoir.
Bachmann lance l’une de ses brigades contre le fort de Blamont qui ne résiste pas. Les Suisses s’emparent de Jougne, Pontarlier, Joux et Saint-Hippolyte.
Objet de convoitise, le fort de Joux est investi le 7 juillet. Le drapeau blanc est hissé le 19 juillet, sans attendre les ordres du maréchal Jourdan, nouveau commandant de la division militaire.
Les Suisses atteignent la région du Valdahon, d’Ornans et de Salins sans échanger le moindre coup de fusil, mais dans la crainte constante d’embuscades des Corps Francs.
Le 16 juillet, un nouvel armistice est conclu entre Bachmann et Lecourbe qui fixe la ligne de front.
Bachmann est désavoué par la Diète qui estime, vers le 22 juillet, que «la malencontreuse expédition a assez duré ». Bachmann, accompagné par Castella, rend son commandement à la Diète le 26 juillet 1815.
Il faut dire aussi que le contingent suisse est ravagé par les mutineries «politiques » et l’absence de ravitaillement.
Les troupes suisses commencent à évacuer le 31 août. La frontière helvétique sera quelque peu modifiée à l’avantage de la confédération. Quant au siège de la forteresse de Huningue, où ont participé dix bataillons suisses (4660 hommes) sous le commandement du colonel fribourgeois Charles d’Affry, il a abouti le 26 août.
Finalement une invasion assez inutile, où l' on incrimine dans son déclenchement l’ambition de quelques officiers supérieurs suisses désireux de se faire bien voir des Bourbons, afin d’obtenir de belles positions lorsqu’on réorganiserait les régiments suisses au service de France.