Les origines de la légende
Une évolution des esprits se produit après 1815. La Restauration (1814-1830) provoque une déception générale. De retour d'émigration, les nobles estiments leur mérites mal récompensés (Le lys dans la vallée de Balzac). Les ouvriers regrettent la période de plein emploi et de hauts salaire qu'a été l'Empire. Les paysans qui formèrent la masse des troupes de la Grande Armée écoutent le soir, à la veillée, les survivants raconter et embellir leurs exploits: une telle scène figure dans Le médecin de campagne de Balzac. Enfin, toute une génération, née avec l'Empire et élevée dans le sentiment de la gloire, découvre une France frileuse, où le port de la soutane remplace le prestige de l'uniforme. La lecture du Mémorial de Sainte-Hélène (1823), le plus grand succès de librairie du siècle, cristallie regrets et nostalgie: Napoléon, qui a dicté ses souvenirs à Las Cases, s'y présente comme le continuateur de la Révolution, désireux du bonheur du bonheur des peuples, et, pour cette raison, haï des rois. Pour beaucoup, Napoléon devient le héros par excellence, le "père du peuple", le martyr de la Révolution. Avec Béranger, la chanson populaire diffuse son culte. Bravant les interdictions royales, les colporteurs vendent gravures, images et statuettes de l'Empereur, aussitôt vénérées.
Le héros épique
Mais c'est surtout la littérature qui donne à la légende son principal support. Royaliste à l'origine et avant de se tourner vers le libéralisme, le Romantisme verse dans un "bonapartisme poétique", où l'aspect grandiose du personnage l'emporte sur la politique du chef d'Etat. La fin solitaire du maître de l'Europe sur le rocher de Sainte Hélène (5 mai 1821) frappe les esprits. Julien Sorel, pour qui Napoléon symbolise l'homme energique dévore le Mémorial avec des "transports d'amour". Balzac, qui évoque sa figure dans plusieurs de ses romans, n'est pas loin de le considérer comme unn second Prométhée. Hugo chante dans Les Orientales le "héros éblouissant et sombre". Il transforme l'aventure napoléonienne en épopée et en combat politique contre Napoléon III, qu'il surnomme "Napoléon le Petit", par opposition au grand Napoléon. La légende, qui atteint son apogée lors du retour des cendes de l'Empereur (1840), a en effet été si forte qu'elle a contrtibué à la naissance du Second Empire (1852-1870). Après 1870 et la perte de l'Alsace Lorraine, le mythe napoléonien acquiert une nouvelle dimension: celle du "sauveur" que la France attend pour reconquérir les provinces annexées par l'Allemagne. En même temps, la légende se répand hors des frontières. Les Russes Dostoievski (Les frères Karamazof, 1879-1880) et Tolstoï (Guerre et Paix 1865-1869) la véhiculent par exemple. Le présentant tour à tour comme un césar des temps modernes, l'"Homme de la Providence", comme un dictateur ou un héros d'épopée, la légende de Napoléon demeure vivace et contrastée à l'aube du XXeme siècle, où la littérature et le cinéma lui consacreront, à travbers le monde entier, plus de livres et de films qu'a aucun autre personnage de l'histoire.
Source: XIXe siècle; édition Hatier; collection Itinéraires Littéraires