Dans le "Registre des délibérations" du Conseil Municipal du village de Pressagny l'Orgueilleux, près de Vernon, eure, il est consigné un fait très intéressant qui s'est déroulé en 1814, au moment de la première invasion. Ce fait m'a été aimablement signalé et retranscrit par monsieur Rémy Lebrun, ancien brocanteur. Voici quel est l'événement en question :
"12 février 1814
5 h. du soir est arrivé sur le port de seine à Pressagny l'orgueilleux un convoi de bateaux chargés de malades au nombre de 276 pour loger en cette commune pendant la nuit. le maire a donné connaissance à ses habitants, les invitants à se rendre sur le champ au port afin de prendre les malades hors d'état de marcher de les condure promptement chez eux, de leur donner des secours. Le zèle qu'ont montré les habitants en cette circonstance est un sûr garant des bons traitements qu'ils ont reçu. Ayant fait une visite dans plusieurs maison nous avons vu avec plaisir que chacun s'empressait de leur donner des subsistances et autant que possible les aliments convenables que réclamait la position de ces malheureux (1).
En moins d'une heure, tous ont été logés.
le lendemain, après les avoir fait déjeuner ils ont, sur les 8h1/2,transporté les malades au bateau. sur les 9 h., tous étaient embarqués. ils ont témoigné leur reconnaissance aux habitants de l'humanité dont ils avaient usé envers leur sort malheureux.
L'un des malades décède chez son hôte. Il s'agit d'un canonnier d'artillerie de marine né en 1794 à Treuzet, canton de Plouescat (finistère), entré au corps le 27 avril 1813 par conscription. il était à Verdun le 20.01.1814 (2).
Le 20 février 1814
Arrivée hier à 5 heures du soir de deux flettes(3) chargées de militaires malades ou blessés au port de Pressagny qui ont logé en cette commune.
Après les secours, les soins et les vivres nécessaires,ces braves ont été transportés sur leurs flettes afin de continuer leur route.
02.03.1814
Arrêté de Mr le sous-Préfet pour réquisition du 1/2 muid de vin rouge et 6 boisseaux de pommes de terre pour subvenir aux besoins militaires pour les malades et blessés qui sont stationnés en l'hospice des Andelys.
Nuit du 1er au 2 avril
32 officiers polonais (4), autant de domestiques et 42 chevaux ont logé en cette commune auxquels les vivres ont été donnés et le fourrage aux chevaux.
Nuit du 15 au 16 (5)
300 hommes et 400 chevaux du 16eme régiment de dragons ont logé en cette commune les vivres ont été donnés aux hommes ainsi que le fourrage aux chevaux contre paiement de la somme de 451 F.
Nuit du 16 au 17 avril
40 hommes et 53 chevaux du 4eme régiment de dragons ont logé dans cette commune. vivres et fourrages ont été délivrés par les habitants.
Le Sous-préfet fait délivrer 200 livres de pain de munition en faveur des habitants de la commune pour avoir logé beaucoup de troupes. distribué le 24 avril par le maire : Eustache
29 avril 1814
Mme d'Etocquigny a donné par purebienfaisance 50 bottes de foinpour distribuer aux malheureux qui ont logé les troupes dans la nuit du 15 au 16 avril.
Notes : (1) Qui sait si la population n'espérait pas trouver parmi ces malheureux soldats quelques parents ou pouvoir avoir des renseignements de ceux-ci ?
(2)Le registre des décès nous apprend que ce soldat s'appelait Louis Buzaret et faisait partie du 1er régiment d'artillerie de marie, 1er bataillon, 5eme compagnie. Sa description sur son certificat de santé le décrit ainsi : Taille : 1m 670 , cheveux et sourcils châtains, front ordinaire, yeux roux, nez moyen, bouche moyenne, menton rond, visage ovale.
Sachant sa date d'enrôlement, 27 avril 1813, nous pouvons reconstituer à peu près son itinéraire : Il fit partie de cette deuxième vague de 300.000 recrues qu se trouvaient rassemblées en Allemagne le 1er juin.
il est probable qu'il ait participé à la bataille de Dresde (26-29.08) ainsi qu'à celle de leipzig (16.10). Puis, en quelques jours il gagnera Mayence avec la troupe, traversant 300 km dans un pays boueux et surtout devenu hostile aux français. Avec son corps d'armée il recule devant l'ennemi jusqu'à Verdun où il se trouve le 20 janvier. six jours plus tard, il se trouve certainement à Vitry-le-François où, avec les autres conscrits assommés de fatigue, ses supérieurs l'obligent à acclamer l'Empereur (Georges Blond : la grande armée).
Il a dû s'embourber avec le matériel d'artillerie qu'il fallait sortir des ornières près de Montier-en-der, puis participer aux combats victorieux de Brienne-le-château les 29 et 30. Puis, c'est le revers de La Rothière, à 4 km de brienne où de nombreux conscrits sont blessés le 1.02. Notre homme dvait être au nombre de ces blessés qui resteront sans soins jusqu'au 6 où ils embarqueront à Nogent-sur-Seine sur des embarcations à fond plat (barges ou flettes) pour, finalement, accoster le 12 à Pressagny-l'orgueilleux. Buzaret mourut le lendemain matin de son arrivée à 9 heures chez son hôte, le sieur Augustin Le marchand, vigneron de son état.
(3) Les flettes sont des bateaux à fond plat plus petits que les chalands.
(4) La fidélité des Polonais pour l'empereur, ne s'est jamais démentie. lors des adieux de fontainebleau, les chasseurs de la gardes leur dédièrent une chanson, connue sous le nom de "Adieux des chasseurs de la Garde aux lanciers Polonais".