- Citation :
- Je ne saurai ni confirmer, ni infirmer.
Pour vous faire un plus ample avis :
A la fin du XVIIIe siècle, le royaume de Karthlie-Kakhéthie (la Géorgie avait été partagée à la fin du XVe siècle en trois territoires : l’Iméréthie, la Karthlie et la Kakhéthie) était sous domination persane.
En 1783, profitant de l’instabilité politique née de la mort du shah Karim Khan Zand, le roi de Karthlie-Kakhéthie, Héraclius II, se tourna vers la Russie et se plaça sous sa protection par le traité de Guéorguievsk.
En 1794, le nouveau shah, Agha Mohammad Khan Kadjar, décida de châtier Héraclius, envahit son royaume et mit à feu et à sang sa capitale, Tiflis (l’actuelle Tbilissi). L’année suivante, Catherine II, en conformité avec le traité la liant aux Géorgiens, lança ses troupes sur le petit royaume. Les Russes menés par le général Zoubov reprirent Tiflis, mais en raison de la mort de la tsarine, ne continuèrent pas leur marche sur Téhéran. Agha Mohammad Khan Kadjar, au printemps 1797, retenu jusqu’alors par des rebellions touchant le Khorossan, tenta de reconquérir ses terres. Son assassinat dans la ville de Choucha fit finalement avorter l’offensive.
Le 24 septembre 1798, Héraclius mourrait. Lui succéda Georges XII qui fit alors reconnaître son fils David, prince héritier, par le tsar Paul Ier. Ce dernier profita finalement des querelles dynastiques déchirant le royaume et des menaces extérieures pesant sur la région pour mettre la main sur la Karthlie-Kakhéthie. Ainsi, le 23 novembre 1799, fut signé le traité de Tiflis, par lequel Paul devenait Tsar de Géorgie, David obtenant le titre de Régent.
Le 28 décembre 1800, Georges XII mourrait. Les Russes refusèrent alors l’avènement du dauphin David, installèrent un gouvernement provisoire et s’opposèrent aux prétentions au trône du Julien, un autre fils d’Héraclius II. Le 15 septembre 1801, la Géorgie devenait une province russe.
La Perse ne détourna cependant pas les yeux de ses anciennes terres vassales.
En 1804, le général Tsitsianov, gouverneur de la Géorgie, s’était emparé de la forteresse de Ganja, en Azerbaïdjan, et s’apprêtait à assiéger Erivan, en Arménie. Le shah, Fath-Ali Shah fit donc appel à l’Angleterre en vertu du traité de janvier 1801. Cependant, l’alliance entre Londres et Téhéran n’avait pour but que de s’opposer à une éventuelle agression française. Ainsi, les Anglais refusèrent logiquement leur aide.
Un rapprochement vers la France fut donc esquissé, alors que Talleyrand, de son côté, venait d’entamer des démarches dans le même sens. En réponse aux premiers pas du shah et afin de faire face à la future coalition liant la Russie et l’Angleterre, Napoléon écrivit le 16 février 1805 au souverain de Perse afin de lui faire connaître ses désirs de renouveler
« les rapports d’amitié et de commerce » entre les deux pays.
Le 29 mars, l’Empereur écrivait une nouvelle missive, où désignant l’Angleterre et la Russie comme les ennemis plus ou moins directs de la Perse, il laissait entrevoir une aide militaire salvatrice de la France. Deux émissaires furent tour à tour envoyés vers Téhéran : Jaubert puis Romieu.
En réponse, le shah, durant l’été 1806, nomma Mirza Mohammad-Reza ambassadeur auprès de la cour de France afin d’y négocier une alliance franco-persane.
En Europe, la troisième coalition avait laissé place à la quatrième. L’intérêt d’une union avec la Perse était donc toujours réel pour Napoléon. A trois reprises, il réécrivait à Fath-Ali Shah afin de le presser d'ouvrir un second front contre la Russie.
De Varsovie, le 17 janvier :
« De ton côté, attaque avec vigueur les ennemis que mes victoires te livrent affaiblis et découragés ; reprends sur eux la Géorgie et toutes les provinces qui furent ton empire, et referme contre eux les portes caspiennes qui en gardèrent si longtemps l'entrée. »D’Osterode, le 14 mars :
« Une partie de l'armée russe, et surtout de la cavalerie qui était sur ta frontière, a été rappelée et s'est portée contre moi. Profite de ces circonstances. Je t'expédie cette lettre par toutes les voies : il faut que nous ayons des communications fréquentes, afin de lier la politique de nos empires, qui est la même, contre nos ennemis communs. »De Finkenstein, le 3 avril :
« Arrête toutes les communications des Anglais avec les Indes; intercepte leurs courriers; ils sont amis des Russes et nos ennemis. Apprends-moi bientôt que tu as obtenu dans cette campagne de nouveaux succès et que tu as fait du mal à l'ennemi commun. »Le 29 du même mois, Mirza Mohammad-Reza arrivait enfin auprès de Napoléon. Les affaires allèrent vite et, le 4 mai, un traité d’alliance entre les deux nations était signé. La question géorgienne fut logiquement abordée :
« Article 3 : S.M. l’Empereur des Français, roi d’Italie, reconnaît la Géorgie comme appartenant légitimement à S.M. l’Empereur de Perse.
Article 4 : Il s’engage à faire tous ses efforts pour contraindre la Russie à l’évacuation de la Géorgie et du territoire persan, et pour l’obtenir par le traité de paix à intervenir. Cette évacuation sera constamment l’objet de sa politique et de toute sa sollicitude. »Le 12 avril précédent, Gardane avait été nommé ministre plénipotentiaire en Perse. Il reçut le 10 mai ses instructions par lesquelles il devait notamment pousser le shah à reconquérir les territoires que lui avait arrachés la Russie :
« La Perse doit regarder les Russes comme ses ennemis naturels : ils lui ont enlevé la Georgie ; ils menacent ses plus belles provinces […]
La Géorgie qu’ils se sont fait céder par le dernier prince de ce pays, leur est mal assurée, et les habitants paraissent regretter leurs anciens maîtres. La chaîne de montagnes qui couvrent l’entrée de la Perse est d’ailleurs située au nord de la Géorgie : il est important que la Russie ne demeurent pas maîtresse de tous les passages. »Reçu le 7 décembre 1807 à Téhéran, Gardane fit ratifié le traité du 4 mai le 22 décembre.
Entre temps, les choses avaient bien changé en Europe. La France était désormais unie à l’ancien ennemi russe. Aucune référence à la Géorgie ne fut faite dans le traité de Tilsit. Sous le prétexte que le traité de Finkenstein n’avait pas encore été ratifié par le shah, Napoléon, au nom de l’alliance avec le tsar opta pour ne pas respecter ses engagements.
Cependant, la France entama des démarches auprès de Saint-Pétersbourg afin d’obtenir un armistice entre la Russie et la Perse. Celui-ci obtenu, le feld-maréchal Goudowitch fit connaître fin mai 1808 ses exigences concernant la paix. Bien évidement, la Russie considérait la Géorgie comme définitivement acquise. De son côté, le shah désirait obtenir une trêve d’un an durant laquelle les négociations se poursuivraient à Paris. Le tsar rejeta avec dédain la possibilité de médiation de la part des Français. Ces derniers n’étaient d’ailleurs aucunement prêts à fragiliser l’alliance de Tilsit au nom de l’union franco-persane. Fin 1808, les hostilités reprirent et Goudowitch assiégea Erivan.
Les Persans n’étaient d’ailleurs pas dupes de la position prise par la France. Le 23 novembre, Fath-Ali Shah lâchait en termes diplomatiques à Gardane :
« L’abandon où [l’Empereur Napoléon]
nous laisse nous étonne de plus en plus. »A ce sujet, Champagny écrivait d’ailleurs au duc de Vicence :
« L’Empereur ne prend aucun intérêt à la Perse, et il n’a été donné d’autres instructions au général Gardane que de faciliter entre les Russes et les Persans, s’il en était requis par les deux parties, les communications qui auraient la paix pour objet. On lui a fait connaître que notre intérêt est pour la Russie ; mais comme vous l’avez très bien dit, pour l’intérêt de la cause commune, nous devons des ménagements à la Perse. »Face au non-respect du traité de Finkenstein, la situation n’était guère tenable pour Gardane. Le 13 février 1809, alors que les Britanniques multipliaient les initiatives en direction du shah, il quittait Téhéran. Un mois plus tard, le 12 mars, un traité préliminaire d’amitié et d’alliance anglo-persan était signé.
La Perse poursuivit sa guerre contre les Russes. Appuyés par les Anglais jusqu’en 1812, la campagne de Russie mit fin au soutien de Londres, favorable, du coup, à la paix entre les deux états.
Le 31 octobre, l’armée persane était largement battue à proximité du gué d’Aslandouz. Les espoirs de récupérer la Géorgie s’évanouissaient définitivement.
Un an plus tard, le 24 octobre 1813, était signé le traité de paix de Golestan. Par l’article 3, la Perse reconnaissait, entre autres territoires, la Géorgie comme possession de l’empire russe.