Jean-Yves Administrateur
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| Sujet: PARET, Jean, soldat de l'armée Impériale Mer 11 Mar - 21:37 | |
| Lettre à mes Parents, de M. Bernard Got (bulletin n°19)
Vérone, le 2 mars 1813.
Très cher père, très chère mère, je fais réponse à votre lettre... je vous prie de me savoir des nouvelles de ma Sainte-Colombe.
Ces lignes toutes simples seraient assurément banales si elles n' étaient signées Jean Paret, soldat de l' armée impériale en garnison à Vérone, voici près de deux siècles ! Le papier est jauni, l' encre noire vire un peu au sépia, l'écriture est parfois difficile à déchiffrer. Mais, depuis le temps, Marie-Marthe Bonne-Nicaise a eu le temps de lire, et recopier à l'encre bleue, les nombreuses lettres de Jean, "Le grand-père de ma grand-mère. Catherine Paret".
Elle en a fait un petit classeur où chaque lettre a sa "traduction" et qui se termine par quelques liasses d'emprunts russes et autres souvenirs précieusement conservés. Comme ses vieux livres, qu'elle a soigneusement répertoriés, prenant soin de rédiger un index des titres et des éditions.
A 83 ans, Marie-Marthe travaille encore, dans la boulangerie de son fils. Rien d'extraordinaire à cela, elle a plus d'énergie que bien des jeunes gens.
Marie-Marthe, c'est un tourbillon qui virevolte entre la caisse et l'arrière-boutique, entre le pain et les souvenirs. Entre deux formules... avec ou sans parler local. Elle passe, sans reprendre son souffle, de "Napoléon je l'adore, c'était un homme à poigne, il a voulu pacifier l'Europe" à "J'ai eu mon certificat d'études à 12 ans et demi, je peux écrire à tout le monde ! Je "grabouille" (Note : gribouiller, écrire) sans arrêt, je ne peux pas m'en empêcher". Sans prévenir, elle revient au quartier " : çà me fait caquer (note : râler) de voir la rue Druge comme elle est dégueulasse. C'est plein d'équevilles (note : (ordures) et de pattes-à-cul (serviettes hygiéniques) ! " puis lâche un aphorisme définitif à la Audiard: "Il vaut mieux dire des conneries que raconter des bêtises" ! Tout est dit ... on ne s'ennuie pas avec elle.
Mais elle sait aussi s'effacer devant l'Histoire, celle des lettres de Jean Paret. Et là, le voyage dans le temps recommence. Extraits...
Juin 1812.
"Mon très cher frère, je te dirais que je pense à toi tous les jours. Pour te sortir de l'embarras j'ai fait faire un certificat pour te servir quand tu seras de la conscription..."
"Je suis seul du pays... Bonnefond, Marron et Christophe sont partis au bataillon de guerre en Russie..."
Décembre 1812, Padoue.
"Il arrive 600 gars conscrits à notre dépôt. Nous les attendons de jour en jour. De plus on a reçu des nouvelles de notre régiment qui a, dit-on, perdu beaucoup de monde."
11 juillet 1812, Vérone.
"Si vous pouviez me faire passer quelque argent vous me feriez grand plaisir car on va faire une très grande route et j'aurai besoin d'argent ... De tout mon coeur je suis pour la vie votre fils Jean Paret".
Le 7 septembre 1812 c'est la bataille de la Moskowa, le 14 la prise de Moscou: les deux tiers de la ville sont brûlés. Le 10 octobre c'est le début de la retraite de Russie - du 17 au 25 novembre le terrible passage de la Bérézina, en décembre la température descend à moins 18°, 30 000 chevaux périssent en quelques jours, 532 000 hommes mourront (dont 450 000 à cause du typhus !).
En 1813, c'est la campagne d'Allemagne: en avril offensive vers Dresde, en mai Napoléon bat les Prussiens, puis les Russes sans l'appui de sa cavalerie (décimée en Russie).
2 Mars 1813, Vérone.
"J'ai quitté le 9e régiment depuis le 28 février, je passe dans le 10e de ligne. J'ai eu beaucoup de chagrin d'avoir à quitter tous mes camarades, je suis le seul du pays : Bonnefond, Marron, Christophe sont partis au bataillon de guerre en Russie. Il y a Puzin qui est resté au dépôt à Padoue, il espère passer Caporal..."
5 du mois de mai 1813, Vérone.
"Voilà mon adresse: Jean Paret dans le 9e régiment, 5e bataillon, 4e compagnie en garnison à Vérone. Bien des compliments à toute la maison, à mon frère et ma soeur, à tous ceux qui s'informent de moi. Jean."
La semaine pourrait s'écouler autour de ces lambeaux du passé. Marie-Marthe se lève, un client vient de faire tinter la porte d'entrée, il veut du pain. Ce pain que le grand père Nicaise faisait rue des Clercs, que le grand-oncle Nicaise faisait à Pont-Evêque, qu'elle faisait elle-même rue Victor Faugier et que son fils pétrit désormais aux Portes de Lyon, rue Francisque-Bonnier. Sait-il que Jean Paret a dû survivre aux guerres de l'Empire pour qu'il soit là aujourd'hui ?
Albert MARCHETTI | |
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