L’histoire qui va suivre est tirée de « La Gazette nationale ou le Moniteur Universel », du 24 brumaire an 7 (14 novembre 1797). L’orthographe de l’époque a été respecté.
-« Il a été jugé, le 15 de ce mois, au tribunal criminel de Maine et Loire, à Angers, une affaire qui, par sa nature, a intéressé pas moins l’ordre civil, qu’elle ne pique la curiosité par ses détails. Voici les faits :
Au mois de messidor an 2, Joseph-Paul Secretal, cordonnier, recherche en mariage Louise-Monique Beschet. Sa demande est accueillie, malgré l’opposition de quelques parents de cette fille. Le jeune homme écrit vainement dans son pays pour avoir les papiers nécessaires à la célébration de son mariage ; il ne les reçoit pas ; il se désespère, parce qu’il craint que sa future épouse ne cède aux soillicit0ations des parents qui s’opposaient au mariage. Jean Miquel, son ami, ne consultant que son bon cœur, lui offre ses papiers, et Secretal se marie sous le nom de Jean Miquel.
Mais bientôt le véritable Miquel se trouve fort embarrassé ; il va se marier, quatre mois après, avec une amie de la femme de Secretal ; s’il se présente, sous son vrai nom, pour épouser, il paraîtra bigame ; s’il découvre leur étourderie, il accuse son ami d’être coupable du délit de faux, et lui-même d’en être complice ; dans ce nouvel embarras, il prend les papiers que son ami avait reçus postérieurement à son mariage, et épouse, à son tour, sous le nom de Secretal.
Depuis quatre ans, ces deux couples vivaient dans l’union la plus intime, aimés et chéris de leurs voisins et parents. Secretal n’a pas eu d’enfants ; Miquel en a eu un qu’il a déclaré et fait enregistrer sous le nom de Secretal. Deux autres enfants, venus d’une seconde couche, sont présentés au bureau des officiers publics, et le père, qui commence à sentir le danger de faire enregistrer ses enfans (sic) sous le nom de son ami veut les faire enregistrer sous celui de Jean Miquel, son vrai nom.
L’officier public s’y oppose et dit que s’étant marié sous le nom de Secretal, ses enfans ne peuvent être enregistrés sous le nom que constate l’acte de mariage.
Miquel avoue tout ce qui s’est passé entre lui et son ami. L’officier public, en reconnaissant sa bonne foi, n’en persiste pas moins, et avec raison, dans sa première décision ; mais il avertit Miquel du délit qu’il a commis, et du danger qu’il court d’être poursuivi criminellement, s’il ne se dépêche de faire rectifier tous ces actes.
Alors, guidé par un conseil inconcevable, Miquel se fait afficher de nouveau sous son vrai nom, et se marie une seconde fois avec son épouse sous son vrai nom de Miquel ; mais pour éviter un malheur, il retombe par là dans un autre. Il est constaté qu’il est bigame, quoiqu’il n’ait jamais eu qu’une seule femme, sans cesser d’être faussaire ; il n’est plus prouvé père que de l’un de ses deux enfans qui vivent, un d’eux, le premier, appartenant à son ami, d’après les actes publics. Cette position critique force enfin Miquel de consulter les hommes de loi et les autorités ; le ministre est consulté, et indique la marche à suivre pour rectifier tous ces actes ; mais l’accusateur public, instruit de cette singulière affaire, la poursuit. Les deux amis et leurs femmes sont traduits au jury d’accusation ; les femmes y sont acquittées, Secretal et Miquel sont mis en accusation et renvoyés comme faussaires au tribunal criminel. Le jury de jugement, quoique convaincu que ces deux hommes ont commis un délit grave et dangereux dans la société, les a acquitté comme n’étant pas coupables de mauvaise intention. »