On connaît parfaitement les comptes du Premier Empire, tant la manie organisatrice de Napoléon 1er s’étendait à tous ses services. Les finances ne font pas exception puisqu’il est vital de bien entretenir l’armée, principal budgétivore de l’empire et socle du pouvoir politique.
En 1810, Napoléon est le souverain le plus riche du monde avec un revenu personnel estimé à cinquante millions de francs par an – à comparer avec les trente-trois millions du roi d’Angleterre. Une somme considérable puisque le salaire moyen d’un ouvrier de l’époque est de 400 francs annuels.
À sa chute, en 1815, il ne sauve toutefois qu’une poignée de millions, d'une façon quelque peu rocambolesque qui illustre les moeurs du temps.
Marc Fourny
"Napoléon dans la campagne de France", 1814 (Jean-Louis Meissonnier, 1864, musée de Versailles)
Un souverain économe autant que richissime
Dans le détail, la liste civile de Napoléon s’élève à vingt-cinq millions, à quoi s’ajoutent plusieurs bonus comme les revenus de ses nombreux domaines (neuf millions), les remboursements des avances consenties à différents ministères (six millions), etc.
Avec cet argent, l’empereur finance des œuvres, fait des dons, gratifie soldats et personnel, assure le maintien de son apparat et de sa maison qu’il souhaite forcément luxueuse pour asseoir son rang. Il soutient également la construction ou la restauration de prestigieux bâtiments comme l’Arc du Carrousel, le Temple de la Madeleine ou encore le Musée d’Histoire Naturelle…
Napoléon est un souverain économe, il tient au strict respect des budgets alloués. Un souci quelque peu bourgeois qui l’incite, par exemple, à restreindre l’usage des bougies au minimum aux Tuileries. Lui-même se contente de peu, avec son éternelle redingote grise, son verre de chambertin coupé d’eau et ses repas vite expédiés - pas plus de vingt minutes, au désespoir de l’impératrice Joséphine.
«L’empereur qui dota si magnifiquement la plupart de ses généraux, remarque son premier valet Louis Constant dans ses Mémoires, qui se montra si libéral pour ses armées, était peu généreux, et il faut le dire, un peu avare dans son intérieur… Peut-être ressemblait-il à ces riches vaniteux qui économisent de très près dans leur famille, pour briller davantage au-dehors».
Bien vu de la part de Constant qui résume avec ses mots la montre impériale : éblouir les cours d’Europe, mais avec toujours un œil vigilant sur la dépense. C’est ainsi que l’Empereur arrive à économiser pas moins de cent millions sur ses revenus pendant son règne, un véritable trésor parallèle, au cas où… «Selon lui, un souverain possédant plusieurs dizaines de millions était non seulement indépendant mais aussi capable de mieux faire face aux crises» souligne l’historien Pierre Branda, auteur d’une passionnante étude : Le prix de la gloire, Napoléon et l’argent (Fayard, 2007).
Napoléon Ier ne se prive pas de puiser à diverses reprises dans son magot secret lors des périodes agitées ou dangereuses, comme après son expédition catastrophique en Russie : ses fonds privés viennent alors renflouer un État parfois déficitaire.
Mauvais pressentiment
C’est justement avant cette campagne de Russie de 1812 que l’Empereur décide de préparer ses arrières, comme animé d’un mauvais pressentiment.
La veille de partir pour la Russie, il fait appeler son fidèle directeur des postes, le comte Lavalette, et lui confie un premier magot à garder sous le coude. «Allez chez le grand Maréchal, lui ordonne-t-il, il vous remettra des bons sur le trésor pour la somme de un million six cent mille francs. Vous les convertirez secrètement en or…» Aussitôt dit, aussitôt fait, ce qui ne manque pas de stresser le pauvre Lavalette qui ne sait où cacher tout cet or.
D’après Constant, présent lors de cette scène, l’Empereur y aurait même ajouté un coffre rempli de diamants, directement prélevés du trésor des Tuileries. Dans la foulée, Lavalette, décide de faire fabriquer une collection de faux livres creux (pas moins de 54 tomes !) sous le titre banal d’une Histoire ancienne et moderne, pour y cacher l’or de l’Empereur. Quand survient la campagne de France en 1814, le comte dissimule sa fabuleuse bibliothèque sous le parquet de son château.
Et lorsque trois cents Prussiens campent pendant deux mois dans ses murs, ils ne se doutent pas qu’une partie de la fortune impériale dort sous leurs pieds ! Le loyal directeur finit par en donner la moitié au prince Eugène de Beauharnais, et dépose quatre cent mille francs au nom de l’Empereur dans les coffres du banquier Laffitte, pour plus de sûreté. Il a été bien inspiré, nous le verrons par la suite.
Alors que s’achève la campagne de France, au printemps 1814, les Tuileries sont en ébullition. Les armées alliées sont aux portes de Paris, Napoléon ne peut plus les contenir, il faut fuir, décamper au plus vite, en emportant le maximum de biens. Triste spectacle en vérité…
L’empire s’effondre dans la poussière d’un immense convoi de voitures, berlines et fourgons, entraînant l’impératrice Marie-Louise et le trésor impérial sur les routes du sud de la France.