J'ai trouvé un ouvrage intitulé Souvenirs d'un Officier de la Grande Armée, la vie militaire sous le Premier Empire, par le capitaine Elzéar (ça existe) Blaze, illustré par Raffet & Charlet.
Je ne resiste pas à l'envie de vous faire partager quelques extraits de ses savoureux souvenirs.
Je passais un jour sur le pont de Stettin; j'allais au faubourg Lastadie; là je fis rencontre d'un prévôt, sapeur, ivrogne, mauvais sujet; il réunissait ces quatre qualités en une seule personne; aujourd'hui cela s'appelle un cumulard. Notre homme avait bu comme toujours; il parlait tout seul, marchait en zig-zag, et, pour me servir d'une expression de soldat, il était brouillé avec l'équilibre et faisait des festons. - Comment, disait-il en s'arrachant les poils de sa longue barbe, je ne trouverai pas dans toute la garnison un bon enfant qui viendra s'aligner avec moi ? pas un qui voudra que je lui fasse une boutonnière au milieu du ventre ? Autrefois, j'en aurai rencontré cent prêts à mettre le sabre à la main; aujourd'hui pas un; vous êtes tous des soldats du pape. Si j'étais à la place de l'Empereur, je vous mettrais tous à la gueule d'un canon, et j'y mettrais le feu pour vous apprendre à vivre.
- Eh! qu'as-tu donc mon ami ? lui dit un camarade qu'il rencontra pêchant à la ligne au bout du pont.
- Ce que j'ai ? Et bien ! je vais te le dire, ce que j'ai. J'ai que depuis deux heures, je cherche un bon enfant qui veuille venir se rafraîchir à coups de sabre, et je n'en trouve point; je les provoque tous, et pas un ne se fâche.
- Si tu le veux, je suis prêt à te rendre ce service-là.
- A la bonne heure, c'est parler çà ! J'avais toujours bien dit que l'on pouvait compter toi. Viens que je t'embrasse. Tu es un Français, tu es un ami; parlez-moi d'un camarade comme celui-là.
- Attends, laisse moi plier ma ligne, et je suis à toi dans l'instant.
- Ah le brave garçon ! c'est ça un grenadier ! nous irons là-bas dans ce petit bois près de la route Dam; nous serons seuls, personne ne nous dérangera; ce sera bien commode, nous nous battrons tout à notre aise. Ton sabre a bien le fil n'est-ce pas ?
- Oui, sois tranquille.
- Bon, le mien coupe mieux que les rasoirs du perruquier de notre compagnie.
- C'est comme cela qu'il doit être. Partons.
Je crus que c'était une plaisanterie et que le pêcheur, possédant tout son sang-froid, n'avait l'air d'abonder dans le sens de l'ivrogne que pour le mener coucher. Pas du tout; le soir j'appris que le combat avait eu lieu sérieusement, et que mes gaillards, blessés tous les deux par une bonne estafilade, étaient revenus à la caserne, bras dessus, bras dessous, chacun proclamant l'autre son meilleur ami.
E. Blaze