Ainsi s'accomplit aussi notre Devoir de Mémoire ...
Je vous avais donné rendez-vous aujourd'hui, 8 Février 1807, aux côtés de ce grand Chirurgien de la Grande Armée, nommé PERCY ...
Prévenu de se rendre en toute hâte à Eylau, à l'aube de ce 8 Février, Percy monte dans son traîneau et file dans la neige ....
La nuit avait été extrêmement froide ; il avait beaucoup neigé, et il neigeait encore ...
Après avoir effectué trois quarts de lieue, notre Chirurgien découvre le champ de bataille de l'avant-veille ...
Ô effet de la fureur de se détruire ! Jamais il n'avait vu autant de cadavres recouvrir un si petit espace ...
La neige n'était plus qu'un manteau rouge, et celle qui continuait à tomber commençait à dérober peu à peu les corps tombés, aux regards affligés des passants ...
Partout, des cadavres, amoncelés, et plus encore là où se trouvaient quelques bosquets de sapins qui avaient servi de boucliers aux Russes ...
Des milliers de fusils, de bonnets, de cuirasses se trouvaient éparpillés sur la route et dans les champs ...
Parmi tous ces corps ensanglantés, des chevaux estropiés mais toujours vivants semblaient attendre que la faim les délivre de l'agonie ...
Il était environ neuf heures lorsque Percy entra dans cette petite ville de Landsberg, où les Russes s'étaient livrés à d'inimaginables ravages ...
Il y avait une telle affluence de voitures et de parcs d'artillerie que le Chirurgien eût bien du mal à entrer avec le traîneau et sa petite cariole ...
Là, il y croisa plusieurs coinfrères, occupés à panser, mais aussi à amputer ...
Et les soldats blessés continuaient à arriver dans la petite ville, pendant que le canon tonnait, et que bombes et obus éclataient de tous côtés.
L'Empereur avait couché à un quart d'heure d'Eylau, pris la veille par les Français, et, dès le grand matin du lendemain, la bataille s'était engagée de nouveau dans la plaine au-delà de cette ville qui avait été si jolie et si riche auparavant ...
Arrivés à moins d'une demi-lieue du champ de bataille, on pouvait apercevoir tous les équipages du Quartier Général de l'Empereur, arrêtés sur une hauteur ...
Un peu plus loin encore, Percy avait été informé d'une grande maison dans laquelle affluait sans cesse une miultitude de blessés ...
En y arrivant, il trouva là une douzaine de bons Chirurgiens pour faire tête à un service si difficile, et cela le rassura quelque peu.
Là, les opérations se succédaient ... Seuls, ceux qui souffraient de fractures ou d'amputations étaient retenus dans ce lieu ; les autres, seulement blessés, étaient dirigés à Landsberg ...
Autour de cet asile de misère et de douleur, les voitures étaient devenues innombrables, et une foule de pauvres blessés ne pouvaient pas entrer ni trouver place pour être pansés ...
En chemin, raconte encore le Baron Percy, j'avais croisé l'un de mes amis, le Général Levasseur, se rendant en traîneau à Landsberg, tout en souffrant d'une fracture au tiers supérieur du bras gauche ...
Un peu plus loin que la "maison d'ambulance", plusieurs Grenadiers à pied et à cheval revenaient du champ de bataille, ensanglantés, plus ou moins grièvement blessés ... Et ceci eu l'effet d'impressinner fortement le Chirurgien, car ce Corps de réserve de l'Empereur ne s'exposait qu'en tout dernier recours, et le voir ainsi se retirer, couvert de blessure, n'augurait rien de bon ...
Les Chasseurs à cheval avaient été littéralement hachés, et l'Infanterie de la Garde n'avait pas donné, car l'artillerie des Russes l'avait abîmée en position...
Grenadiers à cheval, canonniers de la Garde, tous avaient énormément soufferts, à tel point qu'il avait fallu, avec Larrey et d'autres Chirurgiens en chef, partager en plus des hangars, pour soigner, panser et opérer les blessés de la Ligne, dont le nombre ne cessait de s'accroître au fil des heures ...
A ce moemnt, arriva en traîneau, le Général d'Hautpoul, avec une fracture comminutive, le Maréchal Augereau était passé déjà, avec un coup de feu à la jambe, le Général Leval avec une balle dans le bras, le Général Ricard, blessé lui aussi, le Général Heudelet, avec un coup de feu dans le bas-ventre ...
"Quant à mon pauvre et bon ami, racontera Percy, mon ami le Général Gudin, il avait été tué, ainsi que les Colonels Lemarrois, Lacuée et d'autres encore que j'affectionnais beaucoup" ...
Le brave et si aimable Corbineau, Général et aide de camp de l'Empereur, venait tout juste d'expirer lui aussi, la cuisse emportée par un boulet ...
Le Général Dahlmann, criblé de coups de lances par les Cosaques, se trouvait dans un tel état de spasmes et d'anxiété, que ses jours semblaient être comptés ...
Ainsi, une multitude de Chefs de Corps et d'Officiers avaient péri.
Le massacre avait été horrible, et les chirurgiens ne pouvaient plus suffire à l'affluence ininterrompue des blessés ...
Percy dira encore :
"-Le bruit de l'artillerie, la fumée de l'incendie, l'odeur de la poudre, les cris des blessés qu'on opérait, tout ce que j'ai vu et entendu, ne sortira jamais de ma mémoire .."
Plus loin, dans l'ambulance de M. Chappe, c'est le Colonel Henriot, du 14ème de Ligne, qui s'était réfugié, blessé à la main...
Il se trouvait là avec son Chirurgien-Major, en la personne de Courtois ...
Dans cette maison, c'est plus de trois cents blessés du même Régiment
qui avaient été pansés.
Le soir venu, ils avient allumé un grand feu pour passer la nuit autour, non loin du premier hangar, car le froid était devenu de plus en plus piquant, et le neige ne cessait toujours pas de tomber ...
Puis, avce MM. Le Vert et Mayot, le Chirurgien Percy s'était rendu sur la partie la plus élevée du cimetière, afin de voir la fin de la bataille ...
Là, le sol était couvert des cadavres des braves canonniers, tués à leurs pièces dans la matinée ...
Nulle part la vue ne pouvait s'arrêter, sans rencontrer une cinquantaine de cadavres à la fois ... Une effroyable boucherie marquait de stupeur le Chirurgien, comme tant d'autres témoins de cet épisode tragique ...
De retour du champ de bataille, où des centaines de blessés français restaient encore étendus sans qu'il fût possible d'accéder à eux, Percy était revenu près des hangars ...
En passant, il avait aperçu l'Empereur, observant à cheval et du haut d'un mamelon, les mouvements des Russes.
Plusieurs fois, dans le courant de cette journée, il avait été le point de mire de plus d'une batterie, et, près de Lui étaient tombés plusieurs obus, dont les éclats avaient volé autour de sa personne..
Dans les hangars, le service médical et chirurgical continauit son pénible labeur ...
Des jambes,et des bras coupés étaient jetés avec les corps morts, devant la porte .. Inforunés et braves soldats blessés ayant à peine un peu de paille pour eux qui grelottaient de froid !
Pour eux, pas un verre d'eau non plus, et rien pour les couvrir ...
Et le vent qui soufflait de toutes parts, s'engouffrant de plus en plus au fur et à mesure que les soldats enlevait des portes pour former un bivouac un peu plus loin ...
Arrivés de nouveau près de leur voiture, les chirurgiens se mirent en oeuvre pour pourvoir au souper de tous ces gens et arranger les chevaux pour cette nuit qui s'annonçait encore glaciale ...
C'est alors que, prenant chacun possession d'un petit coin, après avoir pris un peu de soupe, Percy étendit son couchage et s'endormit sous son habit de poil ...
Que de souffrances, tant physiques que morales, ont enduré tous ces Braves, dont le sens de l'Honneur et du service à la Patrie, faisaient partie intégrante de leurs personnes !
En ce jour anniversaire, pensons à eux qui ont tant et tout donné, jusqu'à leur vie, pour la gloire de notre Pays...
Respect profond.