AVALLON - UNE ÉTAPE POUR NAPOLEON 1er
(4ème Partie) 4/4 - Récit présenté par Jean-Pierre BIBET.
Sources : Archives départementales de l'Yonne - Essai de M. ROSSIGNEUX
Nous n’avons pu retrouver aucun détail sur le dîner de l’Empereur à l’hôtel de la Poste ; s’il faut en croire Fleury de Chaboulon : « Les femmes les plus distinguées de la ville passèrent le jour et la nuit dans les escaliers et dans les corridors pour guetter son passage. Trois d’entre elles, fatiguées de s’être tenue debout toute la journée faute de sièges, nous demandèrent la permission de s’asseoir près de nous ; c’était dans une salle où l’on avait jeté à terre des matelas pour que nous puissions nous reposer quelques moments. Rien n’était plaisant comme de voir ces trois jeunes et élégantes bonapartistes groupées timidement sur un grabat, au milieu de notre sale bivouac. Nous cherchâmes à leur tenir compagnie, mais nos yeux se fermaient malgré nos efforts. Dormez, nous dirent-elles, nous veillerons sur l’Empereur. « Effectivement, la fatigue l’emporta sur la galanterie, et bientôt nous nous endormîmes honteusement à leurs pieds. A notre réveil, nous trouvâmes l’une de ces dames en faction à la porte de Napoléon ; il le sut et la remercia de son dévouement en termes fort aimables et fort polis. » Malgré l’affirmation du second secrétaire, nous avons tout lieu de supposer que les dames en question n’étaient pas « les plus distinguées de la ville. »
Avec la nuit, la petite cité Avallonnais redevint tranquille, on entendit plus que le bruit de l’ouragan qui sévissait avec une violence extrême. L’Empereur travaillait dans sa chambre ; le lieutenant Lefol, neveu du général, porteur d’une dépêche importante pour Napoléon, nous a laissé le récit de son entrevue. Parti d’Autun dans l’après-midi, il arriva à Avallon entre onze heures et minuit : «
Je me dirigeais vers une maison dont les fenêtres au rez-de-chaussée étaient éclairées, et là, j’appris avec bonheur que c’était l’hôtel de la Poste où précisément l’Empereur était logé. Sans perdre de temps, sans prendre même la peine de faire sécher mes habits, je me fis conduire auprès du général Bertrand qui était couché. L’Empereur avide de nouvelles, me reçut.Inondé de pluie, couvert de boue, la première chose que je fis en entrant fut de m’appuyer sur un des côtés du lit de l’Empereur. J’étais tellement mouillé que l’eau qui ruisselait de mon manteau alla jusqu’aux pieds de l’Empereur, alors étendu sur un mauvais canapé. Napoléon portait une robe de chambre et un foulard, négligemment attaché, couvrait sa tête. Une table couverte de papiers, avec deux bougies, était devant lui ; près de la croisée se trouvait une chaise sur laquelle on avait étendu sa redingote et posé son chapeau ; son épée, que probablement l’on avait voulu appuyer contre cette chaise, avait glissé et se trouvait par terre ; plus loin, sur une petite table, était aussi un portefeuille, un nécessaire de voyage et une boîte qui sans doute servait de tabatière. Quant au reste de l’ameublement, il était d’une simplicité plus que modeste. » L’ameublement de l’hôtel de la Poste est aujourd’hui dispersé. Le lit où l’Empereur passa la nuit a appartenu à M. Henri Chanut, propriétaire en 1935 de l’hôtel du Chapeau-Rouge. C’est un lit en acajou, orné de têtes de minerves en bronze.
Napoléon le reçut « avec un air de bonté qui le mit à l’aise » et fit du général Lefol l’éloge le plus flatteur. Le lieutenant ayant rendu compte de sa mission (il devait informer l’Empereur de la marche d’un régiment qui venait le rejoindre), Napoléon le félicita de son zèle et de son activité et lui adressa plusieurs questions sur l’effet que devait produire sur l’armée son retour en France, avait-on toujours conservé pour lui la même confiance, le même attachement...
L’entretien dura vingt minutes ; pou y mettre fin, l’Empereur lui frappa légèrement sur l’épaule en signe d’intérêt : « Allez vous reposer et venez demain matin me trouver pour recevoir mes ordres. »
Avant de se retirer, Lefol alla relever son épée qu’il posa sur sa redingote. Le lieutenant passa la nuit dans l’écurie avec les chevaux de l’Empereur. Le lendemain il était tellement raide et engourdi par l’humidité dont ses vêtements étaient imprégnés, qu’on fut obligé de le transporter dans la cuisine auprès d’un bon feu.
L’Empereur fut aussi rejoint à Avallon par le sous-lieutenant Guillermin, du 4è Hussards, né le 3 septembre 1785, à Pont-de-Veyle (Ain) Mis en non-activité après les Cent-Jours, il devint commissaire-priseur à Moulins, puis notaire. Accouru de Paris il le renseigna sur l’état des esprits. Napoléon lui donna la croix de la Légion d’honneur sur sa demande, mais comme il l’avait déjà reçue du comte d’Artois quelques mois auparavant, la grande chancellerie ne lui envoya pas son brevet ; cet officier « avait une grande envie des décorations et aimait à figurer dans l’escorte des puissants du jour. »
Le lendemain matin, 17 mars 1815, la foule se rassembla de nouveau devant les fenêtres de l’Empereur en l’appelant à grands cris ; il se montra au balcon, salua le peuple et descendit pour monter en voiture. Dans la cour où se trouvait la calèche de l’Empereur se pressait « une foule de personnes de tout âge, de toute condition, surtout d’anciens militaires, donnant les marques d’une satisfaction générale. » Napoléon parut très touché de cette démonstration en sa faveur et distribua encore deux ou trois croix. A ce moment, l’hôtesse vint lui présenter ses deux petites filles ; l’Empereur, qui tenait à se montrer bonhomme et paternel, les embrassa. On partit immédiatement pour Auxerre aussi simplement que l’on était arrivé.
Mais si l’allégresse ne fut pas unanime, si Avallon fut peut-être après Autun la seconde ville qui manqua vraiment d’enthousiasme, le souvenir du Grand homme hante cependant toujours la chambre qu’il occupa :
Il s’est assis là, grand-mère...
Il s’est assis là ! ...
(Extrait des « Chansons de Béranger)
et la glace du trumeau qui subsiste a reflété son profil césarien. (Au mois d’août 1911, on a posé sur la façade de l’hôtel une plaque commémorative du séjour de l’Empereur)
L’Empereur laissait dans la prison de la ville, Etienne Perrin du Lac, Sous-Préfet de Semur, qu’il fit arrêter par la gendarmerie de Saulieu, pour s’être distingué dans la réaction royaliste de 1814 « contre tout ce qui était vraiment français » Perrin du Lac resta emprisonné jusqu’au 11 mai, sans que les faits qui reprochés aient jamais été bien éclaircis. (Louis XVIII devait le récompenser en le nommant Sous-préfet de Beaune, le 2 août suivant. Perrin du Lac fut remplacé à Semur par Brandt. Son frère François-Marie, né à Auzy (Saône-et-Loire), le 23 septembre 1767, était sous-préfet de Sancerre.)
(Arch. De la Légion d’honneur.)
Les troupes ne cessèrent d’arriver après le départ de l’Empereur, elles étaient harassées par les marches forcées, et la Municipalité d’Avallon leur fit distribuer du vin.
(Registre des délibérations du Conseil Municipal d’Avallon, 24 avril et 16 octobre 1815. Les rations furent fournies par les nommés Minard, Melchiord, Marchand et Rousseau. Les bons sont visés par le général Saint-Clair et le Sous-préfet, faisant fonction de Commissaires des Guerres.)
« Louable sollicitude envers les braves défenseurs de l’Etat, tendant à soulager la classe peu aisée des citoyens. »
Dans la soirée, on vit s’arrêter devant l’hôtel de la Poste « un officier général dont le chapeau était orné de plumes blanches. C’était le maréchal Ney, qui allait rejoindre l’Empereur à Auxerre.
(L’entrevue eut lieu à la Préfecture, dans la matinée du 17 Mars 1815)
Mention :Les noms de famille des principaux témoins de cette journée du 16 mars 1815 (en caractères gras) ont encore à ce jours leur sépulture (Menaces de reprise pour la plupart)Fin du Récit