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...... Sources ...(G.Lenotre).
Un placide notaire de petite ville écrivit ses "
Mémoires", encore inédits, et pour toujours sans doute, car l'énorme cahier où ce brave homme consigna les impressions de sa vie sans aventures forme le plus somnifère manuscrit.
A l'époque où il terminait ses études de droit, le futur tabellion, un peu effrayé de l'austère existence qui se préparait pour lui en province dans l'étude paternelle essaya de se créer une situation à Paris et se fit admettre, en qualité d'attaché, au cabinet du ministre de la Guerre.
C'était au temps du Premier Empire. On travaillait douze heures par jour à l'établissement des Etats de l'Armée, tous les employés, depuis les chefs jusqu'aux simples surnuméraires, montraient un zèle qui passerait pour de l'indiscrétion dans les administrations d'aujourd'hui.
Le Ministre Berthier, connaissait personnellement ses plus intimes collaborateurs...il les encourageait, les excitait à la besogne, les retenait à dîner quand le travail pressait et qu'il fallait passer la nuit...ce à quoi chacun consentait de bonne grâce, l'enthousiasme était alors la règle jusque dans les bureaux.
Un jour le ministre fait appeler ses six attachés, il leur annonce que l'un des secrétaires particuliers de l'Empereur est malade, obligé de quitter son service, et que sa Majesté demande une "
belle main" pour compléter son cabinet.
Une page de prose est dictée aux jeunes gens en manière d'épreuve...chacun s'applique de son mieux, le coeur battant, le cerveau en fièvre, à l'idée que le maître du monde choisira, au vu de ces six feuillets, l'heureux prédestiné dont se trouveront, d'un seul coup, assurées la gloire et la fortune.
Les dictées finies sont portées par le Ministre aux Tuilleries...une heure d'attente anxieuse, de rêves dorés, d'illusions folles.
Enfin Berthier rentre à son hôtel...sa voiture s'arrête au perron, il monte l'escalier, il pénètre dans le salon où languissent les six attachés, blêmes d'angoisse...il nomme l'un d'eux, S.... qui était de Valenciennes.
""""Monsieur l'Empereur vous a désigné, montrez-vous toujours digne de cet insigne honneur, allez sa Majesté vous attend.""""" Les autres en bons camarades embrassent leur fortuné collègue, un peu pâle, très ému, abasourdi, pour tout dire, de l'écrasante aubaine...on le brosse, on le gante, on étale son jabot, on lisse son chapeau, on l'accompagne en triomphe jusqu'à la voiture qui l'attend. Il part.
le travail, ce jour-là, fut sans entrain au ministère...on songeait à l'absent, on le suivait en pensée....Et tandis qu'on envie son bonheur, la porte s'ouvre brusquement...c'est lui !
Quant il put enfin parler, il raconta, tout haletant encore. Admis chez l'Empereur, il l'avait trouvé seul, marchant à grands pas dans son cabinet. Napoléon, toisant d'un coup d'oeil son nouveau secrétaire, il lui avait désigné la chaise et le bureau placés dans l'embrasure de la fenêtre
...""""Mettez-vous là.""""Puis il avait repris sa promenade sans plus s'occuper de lui, gesticulant, grommelant ça et là quelques phrases entrecoupées qui ressemblaient à des jurons et parfaitement inintelligibles. Il paraissait être de fort maussade humeur.
S...., très mal à l'aise, le suivait furtivement des yeux, n'osant tourner la tête, le front bas, retenant son souffle et attendant un ordre.
L'Empereur marcha ainsi durant une demi-heure, grondant, à part soi, des mots que l'autre, par discrétion, tâchait de ne pas saisir. Enfin traversant la pièce à grand pas, Napoléon se rapprocha subitement...le jeune homme, le cou rentré dans les épaules, sentit le dieu tout près de lui, contre sa chaise...."
"""Relisez-moi ça, fit l'Empereur"""".....""""Relire quoi sire ? """"...."""""Ce que je viens de dicter."""".....""""Dictez ? je ne savais pas, je n'ai rien écrit, je croyais.""""".....La foudre tombant sur les Tuilleries et renversant le vieux palais eût causé au pauvre garçon moins d'effroi que le cri de colère qui trancha net sa phrase.
Comme un homme échappé à une grande catastrophe, il ne s'était d'ailleurs rendu compte de rien et n'en pouvait dire davantage. Il s'était trouvé dehors, avait traversé Paris, tout courant, se dirigeant d'instinct vers le ministère, n'ayant qu'une idée...échapper au danger, se mettre à l'abri, se réfugier auprès de ses camarades.
Il en fut malade pendant cinq jours, jamais au reste, il n'entendit parler de l'aventure et ne remit plus les pieds aux Tuilleries de toute sa vie qui fut longue, il lui fallait se faire violence pour traverser le jardin, et trente ans après que Napoléon fût mort à Sainte-Hélène, M, S...., n'apercevait pas de loin les dômes du chateau sans être saisi d'un petit frisson rétrospectif.
Le trait remis en mémoire par la lecture des
" Mémoires du baron Fain, premier secrétaire de l'Empereur ", publiées par ses arrière-petits-fils. Depuis la retraite de Méneval, le baron Fain ne quitta, pour ainsi dire, Napoléon ni jour ni nuit.
On juge combien ses souvenirs sont précieux...Fain vit tout, écrivit tout. Il entrait, dés l'aube, dans le cabinet intérieur et prenait place à la table palcée dans l'embrasure de la fenêtre, le dos tourné à l'Empereur, qu'il ne voyait point, par conséquent, mais qu'il entendait aller et venir, marcher, gronder, froisser des papiers.
La pièce était assez vaste, encombrée de dossiers...Fain en donnel e plan détaillé. Derrière une porte verrouillée, communiquant à un corridor sombre, guettait continuellement, dans un renfoncement noir, un huissier, gratifié du titre de "
Garde du Portefeuille"...deux hommes, à tour de rôle étaient chargés de cette surveillance, Landoire et Haugel...l'un revenait l'autre après vingt-quatre heures de faction..le garde portefeuille restait là sans bouger, sans se dégourdir, mangeait là, dormait là...quand il dormait..et ne s'absentait pas un seul instant.
La ponctualité exigée du secrétaire n'était pas moins absolue. A l'entrée du maître, vers sept heures du matin, Fain était déja à son poste...il se levait quand l'Empereur paraissait, se tenait un instant debout et reprenait sa place, silencieux comme les meubles de la pièce, ayant à portée de sa main un paquet de feuillets blancs dont il saisissait l'un quand Napoléon diser
""" Ecrivez ! """"C'était un affolant travail...la dictée de l'Empereur ressemblait à un monologue bredouillé...il parlait si vite que la plume ne pouvait suivre...il fallait aller à tout risque pour ne pas être débordé par les phrases qui se heurtaient, se coupaient, s'enchevêtraient...l'art était d'abandonner des
"blancs" à propos pour rester constamment au fil du discours..on remplissait ensuite quand la presse était passée.
Napoléon s'animait peu à peu, il se levait, parcourait à grands pas la chambre, il fallait, en lui tournant le dos, et sans s'aider par conséquent de la mimique, saisir à la volée des chiffres, des termes techniques, des noms propres.
Quant la dictée s'arrêtait, le secrétaire en profitait, pour recopier le griffonage....mais Napoléon s'était remis au travail, il secouait des papiers, signait, se levait, jetait un dossier sur la table de Fain
..."""Expédiez""""....Puis il s'adossait à la cheminée, dépouillait son courrier, ouvrait ses dépêches, indiquait la réponse. Il laissait tomber sur le tapis toutes les lettres décachetées...C'était le répondu.
S'il sortait un instant, vite Fain se précipitait, ramassait tout, rangeait, classait, cherchait à comprendre ce qu'il n'avait pu que deviner dans les phrases de l'Empereur.
En campagne pas de repos, dès l'arrivée au bivouac, n'importe où, dans une chaumière, ou sous la tente, la table du secrétaire était dressée, le travail disposé, le courrier en ordre, l'homme à son poste, prêt à fonctionner.
Il était parfois à ce point fatigué qu'il avait peine à se tenir éveillé. La tente de Napoléon dressée à la hâte, souvent en pleine nuit, sans qu'on prit le temps de déblayer le terrain où on developpait, se conposait d'un vaste pavillon en courtil rayé, formant deux pièces, dans celle du fond, l'Empereur dormait sur un petit lit...dans la première servant d'antichambre, on posait à terre un coussin pour le secrétaire, afin qu'il fût là prêt au premier réveil de l'Empereur.
Un soir...c'était après une bataille...Fain brisé de lassitude, s'était glissé sous la tente, et dans l'accablement du sommeil, il avait cru s'étendre sur quelque porte-manteau des équipages. Qu'on juge de son réveil ! l'oreiller de la nuit était ..un mort frais de la veille !
Au total un terrible métier. On raconte que Napoléon, un jour de bonne humeur, dit à son secrétaire en lui pinçant l'oreille
....."""" Eh bien, vous aussi vous serez immortel ! """""......""""" Et pourquoi Sire """"....."""" N'êtes-vous pas mon secrétaire ? """"L'Empereur avait raison...Les noms de ceux qui vécurent à ses côtés, dans l'intimité du travail, ne périront jamais....mais on peut reconnaître que c'est un honneur qu'ils ont péniblement gagné.
......FIN.....