VENDREDI 17 MARS : Arrivée à Auxerre.
La voiture pénétre dans la Préfecture par une porte neuve, reconstruite en 1810 après que l'on ait démolie l'ancienne pour dégager le maréchal Davout, prisonnier dans sa voiture coincée entre les pierres...
Sur la cheminée du salon on a mis les bustes de Marie-Louise et du roi de Rome...
Le soir vers 6 h. Napoléon demande sa vieille redingote et son vieux chapeau et s'en va passer en revue, Place St Etienne, le 14° de Ligne du colonel Bugeaud..
Jean-Roch Coignet d'Auxerre est là...
- Ah ! Te voilà, grognard ! Quel grade avais-tu à mon état-major ?
- Vaguemestre du grand quartier-général.
- Eh bien suis-moi, je te nomme fourrier de mon palais et vaguemestre général...
A 8 heures quand l' Empereur se lève de table et que la musique du 14° joue " Veillons au salut de l'Empire ", une voiture s'arrête à 100 mètres de la Préfecture : Ney descend à l'Auberge de la Commanderie...
AUXERRE - Samedi 18 mars
7 h. du matin, la journée commence par la question rituelle :
- Marchand quel temps fait-il ?
Le 1er valet de chambre, fine silhouette dans son habit à la française de drap vert, parements et collet brodés d'or, gilet de casimir blanc, culotte noire et bas de soie, ouvre les volets :
- Pas meilleur qu'hier Sire ! Hélas ...
Sitôt enveloppé dans sa robe de chambre, Napoléon assis au coin du feu, parcourt les journaux arrivés de Paris et les dépêches interceptées.
Il prend un bain très chaud et se fait lui-même la barbe pendant qu' Ali lui tend un grand miroir. Marchand tient le savon et la cuvette, avant de le frictionner très fort à l'eau de Cologne, tandis que Napoléon chante faux, entre ses dents, La Marseillaise qu'il entend depuis quelques jours...
- Faites entrer le Prince de La Moskowa !
Louis Etienne SANT-DENIS dit le mameluck ALI dans ses SOUVENIRS, parus chez Payot, en 1926, page 100 :
"C'est par l'intérieur que passa le maréchal. Il resta quelques instants dans la pièce voisine de la chambre à coucher. Ses yeux étaient pleins de larmes. On a dit qu'il avait eut quelque peine à se décider à venir voir
l' Empereur. Il était seul, l' Empereur ne le fit pas attendre. Je crois que ce fut le Grand Maréchal Bertrand qui l' introduisit dans la chambre à coucher..."
Tempête sous un crâne, depuis quelques jours le maréchal Ney dormait mal. Pris entre le marteau et l'enclume, il ne savait plus où était son devoir. Sa charmante épouse Aglaé Auguié, nièce de Mme Campan, subissait sans cesse des brimades à la cour de Louis XVIII où des personnes bien intentionnées l'appelait la fille de la femme de chambre. Pourtant sa mère, demoiselle de chambre de la Reine Marie-Antoinette, et traquée pour cette raison se jeta par une fenêtre quelques jours avant Thermidor. Michel Ney souffrait des persécutions de son épouse , comme il souffrait de voir le peu de cas que faisait les nouveau parvenus au pouvoir qui oubliant les 20 années écoulées...
Il avait aussi en mémoires son attitude à Fontainebleau. Pour l'heure il venait de Besançon, où Soult ministre de la Guerre l'avait expédié pour marcher au devant des Elbois, puis de Lons-le-Saunier où il avait donné congé à ses divisionnaires Lecourbe et Bourmont.
Cette nuit, il l'a passé à écrire un justificatif à sa conduite. Napoléon la lira mais ensuite la jettera au feu et seul le grand maréchal Bertrand a été témoin de cette entrevue entre l' Empereur et le maréchal Ney. On ne saura donc jamais ce qu'il a écrit.
Entre la " cage de fer " et la défection de Lons-le Saunier, il y avait bien tempête sous un crâne...