Nous avons déjà évoqué la Marine sous le Premier Empire, et la vision maritime de Napoléon, qui ne fut pas dénuée d'intérêt ...
Mais je voudrais y revenir en quelques lignes, et plus particulièrement sur la composition de nos vaisseaux pour la bataille de Trafalgar, où beaucoup combattirent avec un héroïsme qui ne permet pas de douter de leur patriotisme et de leur courage lors des défaites de la Marine impériale.
Les déficiences sont à rechercher ailleurs, et nous ne connaissons que trop bien la disproportion existant entre le nombre et l'entraînement des Français face à leurs ennemis anglais.
Comment donc étaient composés les équipages français , et quels étaient leurs rôles ?
Les Officiers mariniers qui faisaient le lien entre les Etats-majors et les équipages, occupaient tous les postes prévus pour eux ; malgré cela, un réel déficit de "bons" matelots se faisait ressentir durement.
Des hommes ayant dépassé la cinquantaine étaient maintenus en service, pendant de que de très nombreux jeunes marins, novices non encore expérimentés étaient embarqués.
On y trouvait également des prisonniers noirs, déportés de Saint Domingue, des Conscrits, des ouvriers d'arsenaux et surtout du personnel de l'Armée de terre.
Ce qui faisait qu'au total, les navires de Trafalgar comptaient environ 40% de ce personnel issu de l'Armée de terre, outrepassant les normes alors en vigueur et qui étaient de 15% seulement ...
Bien que ces soldats ne pouvaient guère apporter d'aide dans la manoeuvre des navires, ils renforcèrent le service des canons et de la mousqueterie, grossissant ainsi les équipes d'abordage.
Toutefois, tout ce monde en excédent diminuait l'autonomie des navires dans le domaine des vivres, et accentuait les risques d'épidémies...
L'origine géographique du pêrsonnel de ces navires était souvent lié au lieu d'armement des bâtiments.
C'est ainsi qu'un vaisseau qui trouvait son armement à Toulon par exemple, se composait d'un équipage majoritairement originaire des Côtes du Languedoc, de la Provence et de la Corse.
Mais le brassage parvenait à s'opérer tout de même par le fait des déplacements dans différents ports, et aussi par un phénomène reconnu classique, du Commandant qui changeant de navire, emmenait avec lui une partie de son équipage.
Pourtant, il a été constaté que, jusqu'à la fin de l'Empire, tous les navires présentaient une dominante plus ou moins affirmée dans les origines de leurs hommes d'équipage ...
Ainsi , tel vaisseau était plutôt provençal, tel autre plutôt normand-breton...
Et pour exemple, le Commandant de l'Intrépide, à Trafalgar s'exprima en provençal lorsqu'il annonça à son équipage son intention d'aller porter secours au au Bucentaure ..
Il s'écria alors : " E aro voules vous battre ? Leisso pourta, lou capo sus lou Bucentauro" ....
Hormis du personnel métropolitain et antillais, se trouvait sur tous les navires, des matelots étrangers, génois, maltais, suédois, prussiens, danois, et même des Américains assez nombreux ...
Une "Grande Armée" à bord en quelque sorte ! ...
D'ailleurs, la présence d'éléments de l'Armée de terre, expliquait l'apparition de soldats exotiques tels les Grecs, les Syriens ou encore les Egyptiens qui appartenait au bataillon des Chasseurs d'Orient.
Enfin, il est amusant de souligner la présence de femmes à bord des navires de l'Empereur ; elles étaient les épouses ou les filles des militaires autorisés à bord, ou alors des clandestines découvertes après appareillage comme ces trois femmes trouvées à bord du Bucentaure, et que la petite histoire nous rapporte que ces trois personnes avaient été inscrites sur le rôle d'quipage, par l'Agent Comptable, en qualité de "rentières" !
Plus tard, après Trafalgar et les lourdes pertes engendrées par la bataille, le personnel fut recruté de plus en plus parmi des jeunes gens, habitants les départements du littoral, après tirage au sort.
C'est ainsi qu'en 1808, ce sont 50 bataillons qui furent créés pour la Marine impériale, eux-mêmes remplacés en 1813 par des équipages de haut bord.
Au fur et à mesure, une militarisation s'instaure progressivement dans les Corps de Marine.
Un uniforme avait même été institué en 1804, l'arrêté disant que matelots et mousses porteraient tous la veste et le pantalon bleus, le bouton de corne timbré d'une ancre croisée de deux sabres, un gilet rouge, un chapeau rond et une cravate noire ...
Ce qui met fin à la légende qui voulait laisser penser que la cravate noire était apparue dans la Marine française après Trafalgar ...
A Toulon, c'est Latouche-Tréville qui voulut distinguer les différents équipages par des pompons de couleurs différentes, réservant la couleur rouge au vaisseau amiral.
On peut voir dans cette mesure l'origine du fameux pompon rouge de nos Marins français...
Napoléon pensait qu'il suffisait de quelques semaines pour transformer un soldat de terre en un marin expérimenté. Il avait toujours en mémoire les succès obtenus par les Romains qui avaient à bord un fort contingent de légionnaires pour combattre la flotte carthaginoise.
Ainsi, il écrivait à son Ministre, Decrès, en ces termes :
"-Dites aux amiraux qui les commandent, que nos soldats sont capables de tout ; il faut apprendre aux plus letes à monter sur les mâts et, pour les encourager, donner une récompense à celui qui montera le plus haut" ...
Mais le Minsitre répondait alors avec sagesse que ce ne sont pas les règlements qui font le Marin, mais que l'usage seul de la mer et un usage habituel était capable d'une telle formation.
Et il avait raison.
Les conscrits permirent surtout l'armement des nombreux navires que Napoléon continua à faire construire jusqu'à la fin de l'Empire ; mais les équipages ne furent jamais vraiment opérationnels.
Des Marins d'élite composèrent l'un des bataillons de la Garde, et y acquirent prestige et gloire, comme il se doit pour une telle unité, mais ils ne furent pas d'une très grande aide à une Marine qui pêcha toujours par un cruel déficit de vrais professionnels.
Ce fut ainsi, et pourtant, ce n'était pas, pour l'Empereur, faute de s'activer dans ce domaine , mais Il avait déjà tant à faire sur le Continent, accablé sans relâche par l'un ou l'autre de ses ennemis, l'attirant inlassablement sur ces immenses plaines que l'on nommait "champs de batailles" ...