Dès que j'ai lu ce post, j'ai immédiatement pensé à la reddition du général Moreau à Soissons le 3 mars 1814. Ouvrant ainsi une porte de sortie inespérée aux troupes de Blücher. C’est incontestablement un acte lourd de conséquence pour l’empire et Napoléon.
Il faudrait que je retrouve deux ou trois textes à ce sujet...
Dans le livre d'Hourtoulle "1814, la campagne de France" (page 74) on peut lire ceci :
"La perte de Soissons a fait effrondrer les habiles actions stratégiques de Napoléon et a marqué le vrai tournant de la campagne. Thiers a assimilé "Soissons à Waterloo"." (Eric) ...
Bonsoir Eric,
Pendant que vous recherchez vos textes, je me permets de vous livrer un passage du récit qu'en a fait le Général Comte de Ségur :
"...Enfin, l'ennemi était rejoint, et obligé de se retourner pour se défendre. Il s'arrêtait : il lui fallait disputer l'Ourcq à son tour ; nous nous en applaudissions ; nous savions que l'Empereur accourait, suivi de 25.000 hommes ; qu'en trois jours, du 27 Février au 2 Mars, il avait franchi par Arcis, Herbisse et Esternay, l'intervalle de Troyes à La Ferté-sur-Marne ; qu'en même temps, Victor et le Duc de Padoue avaient, de Bussières et de Vieux-Maisons, gagné directement Château-Thierry ; et qu'en cet instant, le 3 Mars, atteignant lui-même à toute course Bezu et Rocourt sur la route de Soissons, Napoléon, pendant que Blücher nous tenait tête, le tournait, dépassant la gauche de ce Prussier, en se précipitant sur Micy par Fère, Fismes et Braisnes.
Dès lors, prévenu sur la Vesle et l'Aisne, enfermé entre nous et ces deux rivières, Blücher, dans le désordre de sa fuite, acculé sur l'Aisne et sur Soissons, allait enfin être détruit ou contraint de mettre bas les armes...
Déjà, le vieux feld-maréchal, troublé, cherchait des yeux un passage pour s'échapper ; ses regards, de toutes parts repoussés, étaient forcés de se reporter sur l'Aisne ; mais le pont de Soissons lui était interdit. Quant à ses pontons, ils étaient engravés dans nos traverses : il les appelait vainement à son secours...
Le temps, l'Aisne, Soissons et nos routes défoncées, nous le livraient donc ; il était vaincu d'avance, quoique toujours plus nombreux que nous ; Napoléon était là, et sa présence nous valait une armée ...
Ainsi, la Coalition, mutilée dans l'une de ses armées les plus lestes et dans son chef le plus acharné, allait être frappé mortellement, quand l'un des nôtres, MOREAU, ce funeste commandant de Soissons, la sauva !
Blücher, éperdu et sans refuge, était déjà sous notre main ; Moreau lui livra ce passage ; et, de vaincu et pris qu'il était, avec 50.000 hommes sur la rive gauche de l'Aisne, ce maréchal se retrouva sur l'autre rive, non seulement à couvert de nous, mais à la tête de 110.000 hommes !
Ce fut le 3 Marsd que ce cruel malheur arriva. Nous l'ignorions. Comment supposer que Soissons, dont la première reddition venait de faire livrer deux de nos généraux à des conseils de guerre, reprise, réparée depuis quinze jours, et qu'un nouveau commandant défendait avec une artillerie nombreuse et une garnison d'élite, ne fût pas restée Française !
Le lendemain, 4 Mars, ma brigade, après avoir franchi le dernier repli de l'Ourcq, poussait avec confiance l'arrière-garde ennemie contre les remparts ; nous nous étonnions de ne plus trouver de résistance, lorsque, arrivés en vue de cette ville, un coup de canon en sortit et me couvrit de terre, au moment où mon cheval, en franchissant le fossé, s'abattait sous moi...
A ce coup imprévu, un cri de surprise partit de nos rangs :
"Quoi ! Soissons tirer sur nous ! Soissons ne serait plus à nous ! Soissons serait prise !"
Hélas, il n'était que trop vrai. Déjà, Blücher, sauvé, s'y abritait. Ses remlparts, contre lesquels toutes nos manoeuvres tendaient à l'écraser, étaient devenus son refuge...
Saisis de dépit et de douleur, nous demeurâmes consternés.
Alors commença contre Moreau ce murmure de malédictions que bientôt répéta l'armée entière ...
L'avant-veille au soir, 2 Mars, aux premières attaques par la rive droite, de Bulow et de Woronzow, le canon de Soissons avait victorieusement répondu ; et pourtant, dans la nuit suivante, les sommations insidieuses d'un certain Martens, capitaine prussien, en avaient ébranlé le commandant.
Le malheureux Moreau, l'esprit frappé, dit-on, du sac d'Auxerre, dont il avait été la cause en voulant en vain la défendre, n'avait songé qu'à ne plus renouveler ailleurs un pareil désastre.
Dans l'importance de son poste, il avait donc vu avant tout, le danger du pillage de cette ville, la conservation de quelque artillerie confiée à sa garde, et le salut de sa garnison ... Comme si la citadelle était là pour la garnison, et non la garnison pour la citadelle !
On l'avait laissé libre de sortir avec armes et bagages. Ces concessions eussent dû l'éclairer, mais elles l'aveuglèrent ....
Dans la matinée du 3 Mars, il avait signé notre perte et son déshonneur !
Jusque-là cette faute, quelle qu'en fût l'énormité, avait des exemples ; mais ici, s'ajoute une sorte de fatalité, en se montrant par l'inconcevable obstination de ce général dans l'aveuglement le plus manifeste ...
Voilà comment, le 3 Mars, vers deux heures de l'après-midi, l'heureux Blücher, qui ne savait plus où fuir, avait vu les ponts-levis de Soissons s'abaisser et ses portes s'ouvrir à sa retraite. Aussitôt, appelant tous les siens, il s'était précipité dans ce refuge ...
Le lendemain de ce malheur, le 4 Mars au matin, l'Empereur l'ignorait encore. Dès la veille, 3 Mars, et depuis deux heures après minuit, il avait, de La Ferté-sur-Fismes, par Château-Thierry, Bezu et Rocourt, entraîné, au pas de course, toutes ses colonnes.
Pendant qu'il se hâtait sur une route solide, le trouble, la précipitation de Blücher fuyant à travers champs, le désordre de ses Corps, une foule de traîneurs égarés et d'équipages embourbés, tombant entre nos mains, avaient persuadé Napoléon qu'il allait enfin porter aux alliés un coup décisif ...
Agité de cet espoir, dans la soirée du 4, il avait atteint Fismes... lorsqu'à peine avoir mis pied à terre, un officier de Marmont arriva.
Alors retentit dans le quartier impérial, la fatale nouvelle !
A ce coup de foudre, tout s'y transforma : l'ardeur en indignation, le bonheur en anxiété ! Dans ces moments extrêmes, où de chaque heure pouvaient dépendre de si grandes destinées, six journées enières de fatigue excessive étaient perdues ...
A cette funeste nouvelle, Napoléon s'exprima ainsi :
"Je tenais ce fou de Blucher dans les replis de l'Aisne ! Et voilà qu'on lui ouvre Soissons ; qu'on lui en livre le pont même sans le rompre ! La mort de Rusca a dérangé tous mes plans. C'est ce malheureux Moreau qui nous perd. Ce nom-là est devenu fatal à la France !" ...