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Mémoires Pittoresques.....Blessé aux Arapiles....(Sources...Mémoires...du Général marquis Alphonse d'Hautpoul).
Peu de moments après que j'eus reçu mes deux blessures à la batalle des Arapiles le 22 juillet 1812, la cavalerie anglaise, nous prenant à revers, traverse notre ligne. M. de Loverdo, mon colonel, qui avait succédé au colonel Coste, prit l'aigle du régiment et se sauva au galop dans les carrés de la division Férey, derrière lesquels les débris de la division Clauzel furent se rallier.
Etendu sur le terrain, je restai au pouvoir de l'ennemi. Pendant la charge, deux escadrons me passèrent sur le corps, mais par un instinct qui leur est naturel, les chevaux me franchires sans me toucher, je voyais les fers de leurs pieds prêts à m'écraser....ma position était critique, mais je ne pouvais rien y faire, il fallut bien me résigner.
Je passai la nuit sur le champ de bataille sans aucun secours, le lendemain des guérillas (
on dirait aujourd'hui guerilleros) les Espagnols qui n'avaient pas paru pendant l'action, se jetèrent sur nous comme des vautours sur leur proie. Je fus mis nu comme un ver. L'un de ces misérables pour m'ôter mes bottes, me mit un pied sur le ventre et me les arracha.
Il faisait une chaleur affreuse, les rayons du soleil me brûlaient le corps. J'étais dans un champ où le blé avait été récemment coupé. J'arrachai avec ma main gauche du chaume et je le plaçai sur ma tête pour empêcher le soleil de me brûler le cerveau.
J'avais une fièvre violente....Non loin de moi, était un de mes camarades, le capitaine Cauchard...nous avions été ensemble à Fontainebleau. Il avait la cuisse cassée et, se laissant aller à un transport de fureur, proférait mille imprécations contre son sort. je l'engageai à se modérer et à conserver toutes ses forces pour résister à son mal. Il ne m'écouta pas et mourut vers les trois heures, dans des tourments affreux.
Il me semble voir encore un jeune Espagnol de quinze ou seize ans, armé d'un mauvais fusil, s'approcher de moi, et, furieux de ce qu'il n'avait plus rien à me prendre, m'appliquer son arme sur la poitrine en me disant mille injures. Puis, la relevant, il ajouta
....""""Qu'es-tu venu faire ici, brigand de Français ? Ce n'est plus chez les curés que tu vas loger, mais avec le diable"""".En disant cela, il me remit en joue. Je lui dis de se dépécher de me tuer. Je pense qu'il n'y avait plus rien dans son fusil, car il me laissa et s'en fut chercher fortune ailleurs. Vers les sept heures du soir, un des fourgons anglais qui parcouraient le champ de bataille pour ramasser les blessés, s'approcha de moi.
Les soldats d'ambulance ne savaient pas à quelle arme j'appartenais...ils me prirent par les pieds et par les épaules et me mirent dans le fourgon avec plusieurs autres blessés. Je fus conduit à Salamanque et déposé dans un enclos qui nous servait de parc aux boeufs lorsque nous l'occupions.
Je trouvai là des officiers de ma connaissance, les uns blessés, les autres simplement prisonniers. Ils me firent un costume assez grotesque, mais le seul qu'ils pussent me donner. Ils coupèrent les battes d'un dragon qui venait de mourir et m'en firent des pantoufles, ramassèrent un pantalon de toile qui avait été jeté et me le mirent, trouèrent par le milieu une couverture de cheval et m'y firent passer la tête...je la portai comme une chasuble, pendant par devant et par derrière. Puis ils me serrèrent le tout autour des reins avec une bretelle de fusil.
Je me trouvai fort heureux d'être ainsi à l'abri du serein, qui est très abondant et très froid en Espagne. Le nombre des blessés était considérable, nous avions eu 12 000 hommes hors de combat...les Anglais et portugais en avaient perdu presque autant. Il était naturel que les chirurgiens anglais donnassent leurs soins à leurs nationaux les premiers et les fissent transporter dans les hôpitaux et les maisons de Salamanque.
Je ne fus pansé pour la première fois que le 23, à dix ou onze heures du soir, vingt-neuf heures après avoir été blessé. J'étais dans un état pitoyable...heureusement mon sang s'était caillé et durci par l'action du soleil, formant une espèce de croûte qui empêchait l'hémorragie.
le 24, on me transporta dans une église convertie en hôpital où je fus couché sur de la paille hachée. Nous étions entassés pêle-mêle, gens de toutes les nations. Un chirurgien anglais faisait le pansement tous les jours. Le costume sous lequel j'étais ne pouvait me faire reconnaître pour officier....j'avais beau dire qui j'étais, on ne m'écoutait pas.
la gangrène ne tarda pas à se déclarer à ma blessure de la hanche, elle faisait des ravages effrayants. Le chirurgien, d'un coup de bistouri, m'ouvrit les chairs extérieurement, de manière à joindre les deux trous de la balle. Il put m'introduire ainsi dans l'intérieur de la plaie du quinquina en poudre et du jus de citron. je souffris horriblement, mais ce traitement me sauva la vie.
Le matin, il prenait les chairs en putréfaction avec des pinces et les coupait avec des ciseaux, puis il remettait les mêmes ingrédients que la veille, un paquet d'étoupe par dessus, faute de charpie, fixé avec un bandage, et j'en avais là pour vingt-quatre heures.
Ma blessure du bras me faisait aussi beaucoup souffrir, mais la gangrène ne s'y déclara pas...elle suivit le cours ordinaire. On me donnait pour boisson du vin d'Oporto, que je mettais dans une cruche cassée avec du quinquina en poudre. je remuais avec un bâton et je buvais. Je suivis ce régime pendant vingt-deux jours....la fièvre cessa et la gangrène fut arrêtée.
......FIN...... ....