La Marine Française du Premier Empire

Suite à la discussion concernant Waterloo et au cours de laquelle le rôle de la marine et de l'importance de la maîtrise des mers ont été évoqués, j'ai pu relever quelques méconnaissances de celle-ci à cette époque et auxquelles je souhaite apporter modestement quelques éclaircissements.

Tout d'abord il n'est guère possible de parler de la marine en France sans évoquer l'histoire de celle-ci au travers des siècles précédents et surtout la politique générale qui fut adoptée avant le Premier Empire et qui ont fortement influencé celui-ci. Impossible aussi de ne pas mettre un éclairage particulier sur la période allant de Louis XIV à Louis XVI qui a vu au travers de ces régimes un très net changement de politique, mais combien difficile, impulsé par Richelieu et Colbert puis d'autres grands hommes par la suite.

Dès l'origine la France a toujours eu à l'égard de ses frontières maritimes une indifférence qui a souvent amené les régimes successifs à une politique maritime d'une incroyable incompétence alors que nous sommes un des pays d'Europe à avoir parmi les plus longues frontières maritimes s'étendant de la Méditérannée, l'Atlantique et la Manche, porte de la Mer du Nord, sans compter les possessions d'Outre Mer. Et tout celà ne date pas d'hier, mais dès l'époque des mérovingiens leur seule ambition était de reconquérir la Germanie et tournaient donc le dos à la mer pour reprendre les écrits de Henri Légohérel !

Cette tendance facheuse va perdurer jusqu'à ce que Richelieu, qui avait parfaitement compris l'intérêt d'une stratégie tournée vers la mer, commence à songer à une réforme dotant la France d'une véritable marine, capable de protéger ses routes maritimes, ses possessions, ses côtes, et surtout de faire face militairement aux marines britanniques et hollandaises qui, elles, étaient parfaitement au point au moins depuis le XIVe siècle. Cette réforme rêvée par Richelieu ne sera mise en place que par Colbert qui aura fort à faire et rencontrera une opposition poltique sérieuse car, par tradition, le commandement de la marine était donné à des hommes qui ne connaissaient pas la mer mais faisaient partie de l'aristocratie et étaient bien plus interessés par la rente et les appointements non négligeables que leur fournissaient le titre que par la marine elle même.

Cette manière de procéder sera parfois heureusement modifiée mais reviendra au grand galop, sans faire de mauvais jeu de mot, quand Murat sera promu par l'Empereur "Grand Amiral de l'Empire" comme le fait remarquer Partrice Raynaud dans le sujet "Waterloo" de ce forum. L'Empereur ne fait que remettre au goût du jour le titre d'Amiral de France de l'ancien régime, assurant ainsi à sa soeur et son beau-frère une entrée pécuniaire fort intéressante ... Mais dans les deux cas il ne s'agit absolument pas d'un grade militaire, mais bien d'un titre supplémentaire tout comme un Duc ou un Comte.

Pour ensuite bien comprendre la situation de la marine sous le Ier Empire, il faut revenir un peu en arrière à la marine de Louis XVI avant la révolution de 1789. Cette marine était forte et arrivait à tenir tête à la marine britannique et à se faire craindre. La plus belle preuve fut la victoire de De Grasse contre l'amiral Hood, non des moindres parmi les amiraux qu'a pu compter l'Angleterre, à la bataille de Chasepeake et ainsi forcer la victoire des troupes franco-américaines à York-Town contre les troupes de Cornwallis. Au delà de l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique, celà fut accueilli en Angleterre avec une grande consternation et sema une grande panique dans la classe politique du pays. A ce sujet il est important de noter que cette victoire est une des rares victoires françaises qui montre l'intérêt de l'action d'une force combinée dans une bataille. En effet, le 17 septembre 1781, DeGrasse, Washington, Lafayette et Rochambaud se rencontreront à bord du vaisseau amiral "Ville de Paris" et mettront au point l'encerclement de Cornwallis à York-Town, stratégie qui fut payante comme on on le sait aujourd'hui. D'ailleurs Washington écrira à De Grasse :"La manière triomphante avec laquelle Votre Excellence est restée maîtresse des mers de l'Amérique et la gloire de la flotte française conduisent nos deux nations à voir en vous l'arbitre de la guerre. Dommage que par la suite l'Empereur n'exploita pas politiquement cette dette de la jeune Amérique qui se sentait redevable à la France, dette qui fut toutefois largement payée au prix du sang en Normandie un certain 6 juin 1944 ...


Malheureusement, malgré cet âge d'or de la marine française et suite à la très violente réaction anglaise aux antilles, face à un roi de France qui n'était pas rès réactif et la révolution française qui allait faire beaucoup de mal dans les rangs des officiers de marine capables de commander des navires et des flottes. Certains furent emprisonnés, d'autres décapités ou encore d'autres ne souhaitaient pas collaborer avec la jeune république préférant s'expatrier. Il ne restera guère que des hommes tel Latouche-Tréville et quelques autres, trop peu nombreux, pour remonter le niveau face à l'Angleterre et dont les manoeuvres et les qualités de marin lui permettront de résister à Nelson en 1801 et dont les conséquences furent le traité de paix de cette même année, traité qui n'avait de but que de laisser à l'Angleterre le temps de se renforcer et se préparer à une nouvelle guerre contre la France, on connait la suite.

Il y a ensuite un homme dont on ne peut passer à côté dans le Ier Empire, il s'agit de Denis Decrès, ministre de la marine pendant toute la durée de l'Empire (A noter que c'est le seul marin a avoir été fait Duc par l'Empereur). Il fit ses armes contre les anglais aux antilles et se distingua à Chasepeake sous le commandement de De Grasse. Suspecté et arrêté en 1794, il fut libéré après Thermidor il prit le commandement du Formidable à Toulon, sous le commandement de l'escadre de Villeneuve. Contre-Amiral en 1798 Bonaparte le choisit pour commander l'escadre légère en 1798 à bord de la Diane. Mais cette escadre légère fut dissoute à son arrivée à Aboukir et c'est en spectateur qu'il vit le désastre du 1er Août. C'est le 3 octobre 1801 qu'il fut nommé ministre de la marine et des colonies. Sa tache était gigantesque, reconstruire la marine qu'il avait connu sous Louis XVI et qui était complètement détruite. Mais malheureusement son plus gros problème fut l'Empereur lui-même qui ne semblait pas comprendre les véritables besoins de la marine et surtout le fait de devoir associer ses amiraux aux opérations, ce que faisaient systématiquement les anglais, d'où leur succès dans les opérations qu'ils menaient. Il refusa de créer une amirauté avec un véritable état-major dédié aux opérations maritimes et Patrick Villiers ira même à écrire : "Napoléon n'a jamais compris fondamentalement ce qu'était une marine de guerre, ce qu'elle pouvait faire mais également quelles étaient ses limites." Un des principaux problèmes portait sur l'incompréhension de l'Empereur sur le personnel. Il refusait d'admettre qu'on ne pouvait former un marin dans une rade en quelques semaines car rien ne remplace l'expérience de la haute mer.

L'Empereur se faisait les mêmes illusions sur les unités que la France pouvait construire. C'est ainsi que le 10 septembre 1810 il écrivait à Decrès :"Je pense qu'au mois d'août 1812 j'aurais 104 vaisseaux de ligne" et en 1811 l'empereur faisait état qu'il avait en France 16 millions d'arbres ayant cinq pieds de tour ou 480 millions de pieds cubes ... Il disait même pouvoir faire couper dans tout l'Empire une quantité de bois suffisante pour faire 4800 vaissaux sans porter préjudice à ses forêts. Mais la réalité était qu'à la fin de l'Empire, la France n'avait construit péniblement que 74 vaisseaux de qualité très moyenne et dont les équipages et l'encadrement manquaient de manière flagrante d'entrainement.

Tout celà entraina une forme d'immobilisme de la marine car l'Empereur n'écoutait pas Decrès dont pourtant les compétences en matière maritimes étaient justes mais qui ne savait se faire écouter. En 1814 l'Empereur confia à Caulaincourt : "Decrès est un homme de beaucoup d'esprit et de capacité et qui a, avec cela, du caractère. Son cynisme, ses formes dures, désagréables déplaisent. On le déteste dans la marine à laquelle il cependant a rendu de grands services. Il m'a éclairé sur beauxoup de points sur lesquels j'avais des idées très fausses. Il avait l'aversion pour les flotilles : C'était le sujet de nos querelles. Ne faisant cas que des gros vaisseaux, j'ai eu de la peine à lui faire comprendre mon but. En créant ces flotilles, il regrettait l'argent qu'elles coûtaient et il avait raison.

Mais à Sainte-Hélène l'Empereur fut très critique envers Decrès et il confia à Las Cases (Ami de Decrès qui avait embarqué avec lui sous l'ancien régime) qu'il ne pouvait être content de lui mais qu'il fut ce qu'il avait trouvé de mieux. Mais je pense personnellement que l'Empereur n'a pas été juste envers lui. Toutefois on peut reprocher à Decrès son choix de Villeneuve au commandement de la flotte au détriment de Missiessy ou Du Chayla mais également son caractère cynique qui lui a certainement valu de grandes inimitiés.

Toujours est-il que c'est hélas dans ce contexte que la marine de l'Empire n'a jamais pu atteindre le niveau qui aurait du être le sien. Un Empereur qui ne voyait que la terre, un ministre plutôt pessimiste ne sachant se faire entendre et tout celà face à la première puissance maritime du monde ... Grave erreur stratégique s'il en est ...

Je terminerais à propos des grades dont il est question dans le même sujet sur Waterloo. Comme je le disais plus haut, Amiral de France et Amiral d'Empire n'étaient que des titres et non des grades. Sous le Ier Empire et depuis les régimes précédents, seuls les grades de Contre-Amiral, et Vice-Amiral existaient. Ce n'est qu'en 1938, sous l'impulsion de Darlan, que furent créés les grades de Vice-Amiral d'escadre, Amiral et Amiral de la Flotte. Celà fut fait afin d'aligner les hauts gradés de la flotte française et les mettre à égalité de discussion avec ceux ... de la marine britannique !

Bibliographie :

L'histoire ignorée de la marine française, Perin

Dictionnaire Napoléon, Jean Tulard

Dictionnaire des marins français, Tallandier

Les guerres navales françaises du moyen-âge à la guerre du golfe, SPM

Les hommes qui ont fait la marine française, Etienne Taillemite

J'ai trouvé cet article interressant!

Déja, il y a une bibliographie, ce qui me donne envi d'en savoir plus.

Ensuite l'article en lui même est assez clair, ne tourne pas en rond, et sucsite l'envi d'en savoir plus.

Merci Sircourf pour cet article!

L'histoire de la Marine impériale est une mine encore propice à de nombreuses découvertes. Certaines circonstances m'avaient mis autrefois sur la piste des procès-verbaux du Conseil de Marine, créé par Napoléon Ier aux environs de 1810 (J'écris ceci de mémoire, 25 ans après). Je sais que le commandant J.-N. Muracciole, dont la thèse universitaire a porté sur la Marine de Napoléon, n'avait pu avoir connaissance du contenu de ces documents avant sa soutenance de thèse. L'amiral Dupont n'avait pu les consulter avant d'achever sa biographie de l'amiral Denis Decrès.
Déjà, on les recherchait au milieu du XIXe siècle. Il est probable que les exemplaires envoyés à l'Empereur (président en titre de ce Conseil auquel il n'a peut-être jamais assisté en personne) soient restés dans les archives de la Secrétairerie d'Etat (aujourd'hui aux Archives nationales) par laquelle passait son courrier officiel. M. Audouy, conservateur en chef des Archives de la Marine - à la fin des années 1970 - ne les avaient jamais vus et ne les connaissaient que par une mention sur un document qui en faisait état.
Moi-même, j'en ai parlé dans un article publié, il y a plus de trente ans, par "Cols Bleus " (hebdomadaire de la Marine nationale). Je pourrais, si cela intéresse certains, tâcher de remettre la main sur ce texte intitulé "Mémoires d'une chaise".
Ce n'est pas le seul sujet pour lequel des recherches restent à faire pour l'histoire maritime du Ier Empire, moins bien connue qu'on le pense généralement. Un ouvrage utile, dont le nom de l'auteur m'échappe en ce moment, est intitulé : " Les marins de l'Empereur " ; je pense assez facile de vous en retrouver les références bibliographiques. De plus, elles doivent être accessibles sur le site de la Bibliothèque nationale de France.

Bonjour,

Je suis heureux que cet article vous ait interessé, il est vrai que la méconnaissance de la marine de cette époque amène souvent à s'en faire des idées fausses ou du moins inexactes.

PERSAN a écrit:

Moi-même, j'en ai parlé dans un article publié, il y a plus de trente ans, par "Cols Bleus " (hebdomadaire de la Marine nationale). Je pourrais, si cela intéresse certains, tâcher de remettre la main sur ce texte intitulé "Mémoires d'une chaise".
Ce n'est pas le seul sujet pour lequel des recherches restent à faire pour l'histoire maritime du Ier Empire, moins bien connue qu'on le pense généralement.

Ce serait effectivement très interessant car ce genre d'articles sont plutôt rares et pourtant apportent souvent des éclaircissements sur de nombreuses choses.