Une « Enfance impériale ».Les années françaises du roi de Rome présentées dans un château de la Couronne
Suite à la présentation en 2010 des feuilles de Louis-Pierre Baltard illustrant les festivités
données pour le mariage de l’empereur Napoléon Ier et de l’archiduchesse Marie-Louise de Habsbourg au printemps 1810, le château de Fontainebleau poursuit l’évocation de la vie de cour du Premier Empire en s’attachant à la figure de Napoléon François Joseph Charles, fils du couple impérial, né le 20 mars 1811 au palais des Tuileries. Le 200e anniversaire de la naissance le 20 mars 1811 de l’enfant, titré roi de Rome, est l’occasion de mettre à l’honneur l’enfance française de celui qui devait incarner la pérennité du régime impérial.
Quel lien le roi de Rome et le château de Fontainebleau entretinrent-ils ? Si la grossesse de Marie-Louise et la nomination de la gouvernante des Enfants de France furent annoncées en novembre 1810 dans l’ancienne chambre des rois de France devenue salle du trône de Napoléon, seul le mobilier du roi de Rome fut transporté en novembre 1811 dans le palais rénové. Simple erreur de destination… la cour séjournant finalement à Saint-Cloud. Ni le nouveau-né ni le petit garçon n’y vint durant les trois années de son enfance française. Le couple impérial préférait le château de Saint-Cloud, au bon air profitable à l’impératrice. De plus, à Fontainebleau, la présence d’un hôte très particulier, le pape Pie VII, retenu en captivité de juin 1812 à janvier 1814, pouvait être un voisinage délicat pour le petit héritier, dont le titre rappelait que les Etats pontificaux étaient intégrés à l’Empire français sous la forme de deux départements.
L’exposition explore plusieurs aspects : les préparatifs, orchestrés par la Maison du Roi de
Rome, pour accueillir l’héritier dans les palais impériaux ; la naissance dans la pourpre (fig. 1) et le baptême en grande pompe comme manifestations de la vie de cour ; la mise en scène
iconographique et le discours politique qui entourent la venue d’un héritier tant espéré ; et enfin la vie concrète de cet enfant de chair et de sang.
Un enfant mis en image : hommages à l'héritier, roi de Rome Autour de la figure de l’héritier fut élaboré un discours politique, tant dans l’Empire français
que dans le royaume d’Italie. Le titre de Roi de Rome donna lieu à une prolixe floraison
d’images. Pour les peintres, les graveurs, les poètes et les musiciens, la naissance était une
occasion de rivaliser d’hommages obligés. Les artistes, peintres comme rhéteurs, convoquèrent allégories et figures mythologiques, de Minerve à Mars sans omettre Hercule, usant d’un vocabulaire classique réemployé à satiété en de savants exercices de glorification dithyrambique de la filiation impériale.
L’événement fut fêté à travers tout l’Empire, des feux d’artifice de Saint-Cloud aux
illuminations de Fontainebleau ou de Bruxelles. Dans cette préfecture du département de la Dyle, Hennequin (sic)çut un transparent, une Allégorie de la naissance du roi de Rome (fig. 2),
foisonnant de références à la seconde capitale de l’Empire. Sur fond de vue d’une Rome imaginaire abondant en louve allaitant Romulus et Remus, statue du fleuve Tibre et statue équestre de Marc Aurèle, l’enfant tient un sceptre sous le regard de ses parents rayonnants.
La pléiade des artistes, Isabey, Gérard (fig. 3) ou Goubaud, donnèrent la mesure de leur talent.
Prud’hon, subtil, peignit un portrait singulier du nouveau-né, où des frétillaires, ou couronnes impériales, environnaient dans une nature édénique l’enfant annonciateur d’un nouvel âge d’or.
L’estampe rivalisa avec l’imprimé et la médaille. Les arts décoratifs se mirent de la partie. De somptueux cadeaux, exécutés par la Manufacture impériale de Sèvres, diffusèrent l’image de l’enfant présenté par son père à la cour, au peuple et à l’armée.
Le baptême eut lieu le 9 juin 1811 dans le chœur de Notre-Dame de Paris, sur les lieux
mêmes du sacre six ans et demi auparavant. La famille impériale fut conviée à se réunir autour du fondateur de la dynastie, la cour au grand complet et les grands corps de l’Etat à assister à la cérémonie, l’armée à s’en féliciter, le peuple à s’en réjouir. Les hommages et les ambassadeurs affluèrent de toute la France et de presque toute l’Europe. Un an avant que Napoléon ne franchît le Niémen, le théâtre de la cour impériale sur les bords de la Seine donnait l’idée d’un Empire sûr de son avenir, enfin conforté par un héritier.
Un enfant entouré et mis en scène : la vie quotidienne du petit prince Mme de Montesquiou, connue pour avoir admirablement élevé cinq enfants, fut personnellement choisie par Napoléon comme gouvernante des Enfants de France. Elle devait veiller aux effets du prince et au renouvellement de sa garde-robe, et était chargée de suivre les premiers pas de l’enfant. Elle fournissait les jeux d’éducation, qui s’ajoutaient aux présents de la famille et des courtisans. Les jouets conservés à Fontainebleau – précieux souvenirs offerts aux collections nationales par la famille impériale et les descendants de l’entourage du prince, singulièrement ceux de Mme de Montesquiou et de Fanny Soufflot – sont révélateurs. Modèle réduit de pièce d’artillerie (fig. 4), petit fusil décoré d’une riche emblématique, éléments d’uniforme militaire ou jeux de patience (fig. 5), ils témoignent de cette préparation au métier des armes que l’on voulait donner au fils du conquérant de l’Europe. Mme de Montesquiou assurait par ailleurs son instruction en dispensant les rudiments de la lecture, avant que l’enfant ne fût pris en charge par un précepteur.
Les artistes se plurent à représenter les progrès de l’enfant, à diverses étapes de sa vie. Le Salon de 1812 abonda en représentations variées de l’enfant. Alexandre Menjaud, par son tableau LL. MM. l’Empereur, l’Impératrice et le Roi de Rome placé sur les genoux de son père, donna une vision touchante de la famille impériale, en un moment que ne régissait pas l’étiquette. Louis Bertin-Parant représenta L’Impératrice Marie-Louise guidant les premiers pas du roi de Rome (fig. 6) en direction du buste de son père, sur une plaque de porcelaine offerte à Madame Mère, grand-mère et marraine de l’enfant. L’imagerie s’empara de l’enfant, et parut une estampe :Promenade en voiture du roi de Rome aux Tuileries (fig. 7), sur la terrasse du Bord de l’eau, avec vue sur l’hôtel de Salm, siège de la Grande chancellerie de la Légion d’Honneur fondée par son père. La figure de l’enfant était plus que jamais mise en scène. Ce rayon de soleil de l’Empire suffirait-il à dissiper les nuages sombres qui à travers l’Europe s’amoncelaient au dessus de la tête de son père ?
L’ambition de la dynastie voulut aussi s’inscrire dans la pierre. Sur la colline de Chaillot devait s’élever un majestueux « palais du Roi de Rome », où Napoléon caressait le dessein d’incarner la puissance du régime. Las, la colline de Chaillot était proche de la roche Tarpéienne. Les cent un coups de canons français qui avaient annoncé la naissance de l’héritier de l’Empire le 20 mars 1811 trouvèrent un écho funeste dans les tirs de l’artillerie alliée aux portes de Paris fin mars 1814. Le 11 avril 1814, l’article 5 du traité de Fontainebleau ne reconnut plus à Napoléon que l’île d’Elbe et au fils de Marie-Louise le titre mal assuré de prince de Parme (fig.
. Le retour fulgurant de son père, réoccupant les Tuileries le 20 mars 1815, quatre ans jour pour jour après la naissance de son fils, et sa seconde abdication ne changèrent pas le destin déjà scellé de l’enfant, Aiglon en exil pris dans les rets de l’Autriche.
Christophe Beyeler, conservateur du patrimoine chargé du musée Napoléon Ier
Fig. 1 :
Jean-Baptiste Isabey : Napoléon présentant le roi de Rome nouveau né à l’Impératrice Marie-
Louise, 1811, coll. part.
Fig. 2 : Philippe-Auguste Hennequin : Allégorie de la naissance du roi de Rome
Lyon, musée des Beaux-Arts
Fig. 3 :
François-Pascal-Simon Gérard : Portrait de S. M. le roi de Rome, 1812
Château de Fontainebleau, musée Napoléon Ier
Fig. 4 :
Douault-Wieland, joailler : Canon sur son affût et attelage, 1814
Dépôt du Mobilier national au château de Fontainebleau
Fig. 5 :
Joseph Ziegler d'après Lorenz Janscha : Jeu de patience Vue de la Gloriette au jardin de
Schönbrunn, début XIXe siècle
Dépôt de Malmaison au château de Fontainebleau
Fig. 6 :
Louis-Bertin Parant : L’Impératrice Marie-Louise guidant les premiers pas du roi de Rome, 1812
musée de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie
Fig. 7 :
Frédéric Dubois : Promenade en voiture du roi de Rome aux Tuileries, 1812
Château de Fontainebleau, musée Napoléon Ier
Fig. 8 :
Charles Alexandre Renaud : Buste du prince de Parme, 1814
Dépôt du Louvre au château de Fontainebleau
Exposition présentée au château de Fontainebleau, appartement Mérimée, du 27 février au 23 mai
2011.
Catalogue « Enfance impériale. Le Roi de Rome, fils de Napoléon », sous la direction de
Christophe Beyeler et Vincent Cochet, richement illustré et publié par l’Etablissement public du château de Fontainebleau et les éditions Faton, 168 p., 19 euros.
Dans le musée Napoléon Ier désormais ouvert en permanence au public, deux salles ont été le
temps de l’exposition réaménagées selon deux thématiques : « Prime enfance occultée : un
nouveau titre pour un prince en exil » pour les œuvres liées au duc de Reichstadt spécialement
sorties des réserves, et « Enrichir le musée Napoléon Ier : nouvelles acquisitions (2008-2011) » dévoilant les œuvres dernièrement entrées dans les collections publiques.